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DES CHEMINS DE FER.

demie aussi étendu que l’Europe occidentale[1], serait centralisé au même degré qu’aujourd’hui la France, et pourrait s’administrer tout aussi vite.

Mais ceux même qui se refuseraient à croire à l’accomplissement de cette évolution au milieu de laquelle d’autres, au contraire, nous supposent pleinement engagés par arrêt du destin ou de la Providence, comme dans un tourbillon contre l’entraînement duquel la lutte est impossible ; ceux qui se croiraient fondés à soutenir que l’Europe et le monde doivent, dans leurs divisions politiques, rester ce qu’ils sont aujourd’hui ; ceux-là reconnaîtront, et déjà reconnaissent, qu’il y a chez les populations, en faveur des chemins de fer, un de ces sentimens contre lesquels échoueraient tous les raisonnemens et toutes les remontrances, une de ces volontés instinctives dont le triomphe est certain aujourd’hui que le régime représentatif a élevé le vieil adage vox populi, vox dei, au rang d’article de foi politique. S’ils contestent l’influence politique et sociale des chemins de fer, telle du moins que d’autres la supposent, ils en sentent la portée administrative, et ils en avouent le mérite sous le rapport des affaires. Ainsi l’utilité, la convenance, la nécessité des chemins de fer, ne sont plus à démontrer à personne. Pour un motif ou pour un autre, il y a, en leur faveur, acclamation universelle, consensus gentium.

Il y a donc lieu à établir des chemins de fer : dans l’intérêt de la civilisation il faut ouvrir les grandes lignes, car ce sont elles qui doivent contribuer le plus à transformer les rapports des hommes et des choses, à rapprocher les provinces des provinces, les peuples des peuples. C’est par les grandes lignes que circulera au loin la pensée humaine sous la forme la plus favorable à sa propagation, c’est-à-dire, en chair et en os. Il faut aussi créer de petites lignes sur quelques points où les rapports des hommes sont extrêmement multipliés. Il faut encore en poser quelques tronçons dans certaines localités où un canal serait impossible et où cependant il y a lieu à transporter une grande masse d’objets.

Mais serait-il sage de négliger les canaux et les rivières pour les chemins de fer ? Sous le point de vue commercial et en se renfermant dans ce qui est du domaine des intérêts matériels proprement dits, pour le transport des marchandises, les lignes navigables, dans des pays tels que la France, valent-elles moins que les chemin de fer,

  1. Comprenant la France, l’Angleterre, l’Espagne et le Portugal, la Suisse, l’Italie, l’Autriche, la Prusse, la Confédération germanique, la Hollande, la Belgique, le Danemark.