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REVUE. — CHRONIQUE.

lancé dans la presse un article où il examinait la tendance de la religion dans les sociétés modernes. L’esprit de conciliation, qui semble n’avoir pas été départi, en politique, à l’illustre député, domine dans toutes les parties de ce petit traité religieux, écrit avec une onction digne de Fénelon. « C’est l’esprit du temps, dit M. Guizot, de déplorer la condition du grand nombre. La condition du grand nombre n’est, en effet, ni facile, ni riante, ni sûre. Cela est douloureux, très douloureux à voir, très douloureux à penser. Et il faut y penser, y penser beaucoup. » Dans ce style, tout-à-fait nouveau, et créé pour la circonstance, M. Guizot explique que tout le mal de la société actuelle vient de ce que les docteurs populaires parlent au peuple un langage tout différent de celui que tenaient jadis ses précepteurs religieux. Ils lui disent que cette terre a de quoi le contenter, et que, s’il ne vit pas heureux, il faut s’en prendre à l’usurpation de ses pareils. — « Et l’on s’étonne, ajoute l’écrivain, l’on s’étonne de l’agitation profonde, du malaise immense qui travaille les nations et les individus, les états et les ames ! Pour moi, je m’étonne que le malaise ne soit pas plus grand. » Dans cet état de choses, M. Guizot appelle la religion au secours de la politique ; il rend grace aux hommes vraiment catholiques, qui prêchent aux masses le détachement des biens terrestres, et dirigent, à défaut du bien-être que la politique ne peut donner à tous, les regards de la multitude vers le ciel, où elle trouvera les biens qui lui sont refusés sur la terre. M. Guizot, marchant dans cette voie ascétique, n’a pas oublié, sans doute, qu’il était autrefois un de ces docteurs populaires, qui promettaient, au nom de la science sociale, une vaste carrière d’avenir et de prospérité à toute la jeune génération qui l’écoutait avec respect. Naguère encore, à l’Académie, M. Guizot parlait un langage qui sentait beaucoup le xviiie siècle. D’où vient donc, aujourd’hui, cet appel à la religion catholique, de la part d’un protestant si indépendant, et si éclairé ? Espère-t-il calmer ainsi les alarmes de quelques catholiques sincères, au sujet de deux mariages protestans ? Nous ne savons si nous devons assigner un terme si positif et si rapproché à des vues si célestes, et qui semblent dirigées si haut ? On a osé le dire cependant, et nous ne serions ici que les échos d’une opinion déjà répandue.

Tandis que M. Guizot rassurait le catholicisme et lui donnait ainsi à entendre que les mariages politiques qui se feront sous son ministère seront tous des actes orthodoxes, M. Duvergier de Hauranne rassurait également, par une publication, ceux qui seraient assez aveugles pour ne pas croire encore aux vues toutes constitutionnelles des doctrinaires. Rien n’est tel que le zèle d’un nouveau néophyte. M. Duvergier de Hauranne est aujourd’hui un constitutionnel ardent, comme M. Guizot est un fervent catholique. Son article n’a qu’un but ; il s’agit simplement, pour l’auteur, de prouver que, dans notre gouvernement, la prépondérance appartient en définitive à la chambre des députés. Or, ce morceau d’éloquence est adressé à M. Fonfrède, qui soutenait sous le ministère doctrinaire, et d’accord avec lui, des doctrines toutes contraires à celles-ci. Les doctrines de M. Fonfrède n’ayant pas réussi près du grand nombre, ses anciens amis le jettent par-dessus le bord pour alléger le navire, espérant arriver ainsi plus tôt au port si désiré. Le sacrifice est bien complet. Les véritables principes représentatifs siégeront désormais avec les doctrinaires. Pour eux, selon M. Duvergier, tout est dans la chambre des députés « qui représente le progrès. » En cas de conflit entre les pouvoirs,