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était entièrement le maître d’accorder ou de refuser les fonds secrets, un ex-directeur des ponts-et-chaussées de réduire les travaux publics, etc., mais qu’il contestait une seule liberté, celle de divulguer, sous quelque forme que ce soit, les secrets qui ont été confiés à un député, en sa qualité de fonctionnaire du gouvernement. Et à cette occasion, loin de se refuser à la discussion, M. de Montalivet, tout souffrant qu’il était visiblement, a donné quelques explications sur la nature des services qui nécessitent les fonds secrets. M. de Montalivet avait déjà produit des explications de ce genre dans les bureaux de la chambre, où elles avaient été appréciées. C’est au moment où M. de Montalivet abordait la situation actuelle, qu’il a été forcé de quitter la tribune, et d’abandonner le sort du projet de loi à M. Molé, qui l’a défendu avec une rare dignité.

Le discours de M. Molé restera comme un modèle des nobles paroles qu’un homme de cœur et de talent peut trouver dans une situation épineuse. La délicatesse la plus élevée a pu seule dicter ces mots : « Lorsqu’il s’agit de fonds dont on ne rend pas compte, il faut en poser le chiffre scrupuleusement, et se rendre à soi-même un compte sévère de l’emploi des fonds. » Après de telles paroles, on ne pouvait que conclure comme a fait M. Molé : « Je regarderais toute réduction comme un refus de confiance de votre part. C’est à vous de porter votre arrêt. » Et l’arrêt a été rendu à une majorité de 116 voix, en faveur du ministère. On ne s’attendait pas peut-être à une majorité si grande. Elle ne nous a pas étonnés après avoir entendu le discours de M. Molé. Jamais la susceptibilité de l’honneur n’avait parlé plus haut. On ne parlera plus maintenant de l’indécision du ministère, et de ses transactions avec les doctrinaires. Le divorce pour incompatibilité d’humeur répond, une fois pour toutes, aux avances et aux bouderies de M. Jaubert. M. Molé l’a rejoint sur le terrain de l’esprit et du sarcasme, et il l’a battu de ses propres armes, terrassé de ses propres argumens. Aussi M. Guizot a-t-il jugé prudent de prendre la responsabilité du discours de M. Jaubert, et de le protéger. C’est un acte de courage, un acte de courage véritable, et de courage malheureux, pour parler comme M. Guizot. Il a dû paraître au moins étrange d’entendre M. Guizot réclamer pour le gouvernement plus de grandeur morale, et exiger que la politique soit élevée, au milieu du trouble causé par son parti, par son parti seul, qui venait mettre toutes les passions en émoi pour l’intérêt personnel le moins déguisé ! L’étonnement de la chambre, sa surprise, se sont manifestés par un profond silence, — et par un vote d’approbation éclatante pour le ministère du 15 avril. Nous le répétons, M. Guizot ne s’était jamais montré plus courageux.

Quant à M. Passy, M. Molé lui a prouvé que M. Passy, ministre, n’avait été ni aussi décidé, ni aussi heureux que lui-même ; il a spirituellement déclaré à M. Guizot que c’est dans ses mains et dans celles des doctrinaires que se trouve le remède à la difficulté de la position, et non dans un changement de cabinet. Mais, en pareil cas, on peut être assuré que M. Guizot et ses amis imiteront le philosophe Fontenelle, et tiendront leurs mains fermées.

Somme toute, les doctrinaires avaient choisi la question des fonds secrets pour le terrain de leur attaque ; le ministère doit les remercier de ce choix.

Le ministère anglais a eu aussi sa crise. Sir Williams Molesworth a accusé lord Glenelg, ministre des colonies, d’être, par son incurie, l’auteur de tous les désordres qui se manifestent dans le système colonial de la Grande-