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RŒDERER.

matière des idées, et les idées comme l’appui le plus solide du talent. M. Rœderer s’était formé d’après cette méthode féconde. En politique, il était élève de Montesquieu, et sur quelques points de Rousseau. En philosophie, il appartint à l’école de Bacon et était disciple de Locke et de Condillac. Il s’était nourri de toutes les connaissances que possédait son époque, et il adopta les idées généreuses qui formaient la croyance de ses hardis contemporains. Venu trop tard pour participer à leur découverte, il put au moins contribuer à leur application ; et, s’il ne compta point au nombre des grands esprits qui avaient posé les nouveaux principe, il appartint à la génération non moins glorieuse qui entreprit de les réaliser. Enrôlé dans l’armée philosophique, M. Rœderer fit ses premières armes, pendant la grande campagne qui précéda la révolution, en qualité d’économiste.

L’économie politique était d’origine récente. L’analyse s’était fortement portée pour la première fois sur la nature et le mécanisme de la richesse dans l’intérieur des états et sur les moyens les plus propres à en favoriser le développement. Jusque-là les nations étaient parvenues instinctivement à s’enrichir ou à se ruiner. Mais de savantes théories vinrent leur apprendre alors à le faire ou à l’éviter avec méthode. Elles ramenèrent la prospérité comme l’appauvrissement à des causes et à des lois certaines. Le docteur Quesnay avait commencé cette science en rétrécissant toutefois beaucoup trop sa base. Élevé jusqu’à douze ans à la campagne, et vivant dans un pays agricole, il considéra la production de la terre comme la source exclusive de la richesse, sa possession comme le principe naturel du droit, son revenu comme la matière unique de l’impôt. Cette économie politique, qui n’embrassait pas tous les faits et qui s’écartait de l’observation par la logique, comme cela arrive souvent, proposait, dans l’application d’utiles réformes, l’abolition des corvées, la libre circulation de grains, la suppression des douanes provinciales au milieu du royaume ; et ses partisans voulaient, comme le reste de leurs contemporains, substituer l’action fixe des lois aux volontés arbitraires du prince.

Pendant, que le docteur Quesnay fondait l’économie territoriale, le conseiller d’état Vincent de Gournay, intendant du commerce en 1755, plaçait la richesse dans le travail manufacturier. Il demandait comme condition de son développement une liberté absolue, et prétendait que le gouvernement se montrait assez protecteur s’il était indifférent. Aussi émettait-il la fameuse maxime, laissez faire, laissez passer, qui était à la constitution économique de l’état ce que le Contrat social de Rousseau était à sa constitution politique. Tous les systèmes de cette