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limites de son autorité, la défense légale du château. Tant que cette défense lui parut possible, il la seconda. Mais le matin du 10 août, lorsqu’il fut séparé de ses deux auxiliaires, le maire de Paris et le commandant-général de la garde nationale, dont l’un avait été retenu prisonnier par la nouvelle commune insurrectionnelle, et dont l’autre avait été massacré sur les marches de l’Hôtel de Ville ; lorsque les bataillons armés du peuple arrivèrent autour du château, non plus, cette fois, pour le traverser, comme au 20 juin, mais pour le prendre ; lorsque les batteries des insurgés furent braquées contre les appartemens même du roi ; lorsque, à la tête du directoire du département, il eut requis le bataillon de la garde nationale et les canonniers restés sous les armes pour la défense des Tuileries, de repousser la force par la force et que, pour toute réponse, les canonniers eurent éteint leurs mèches et ôté la charge de leurs pièces, M. Rœderer fut persuadé que la résistance serait vaine, et que la tenter serait se perdre. Voulant sauver la constitution en évitant le combat, et préserver le roi en le plaçant dans un asile plus sûr que le château et sous la protection d’une autorité mieux obéie que la sienne, il pressa Louis XVI de se rendre au milieu même de l’assemblée nationale, l’y décida, et l’y conduisit. Arrivé heureusement dans son enceinte, M. Rœderer, après avoir exposé les périls de la situation et les efforts inutiles que les membres du département et lui avaient faits pour les conjurer, dit à l’assemblée : « les ordres donnés n’étant plus suivis par personne, nous ne nous sommes plus sentis en état de conserver le dépôt qui nous était confié. Ce dépôt était le roi ; ce roi est un homme, cet homme est un père. Les enfans nous demandent d’assurer l’existence du père, la loi nous demande d’assurer l’existence du roi, l’humanité nous demande d’assurer l’existence de l’homme. Ne pouvant plus défendre ce dépôt, nous n’avons conçu d’autre idée que de prier le roi de se rendre avec sa famille au sein de l’assemblée nationale. » On applaudit ; mais bientôt le bruit du canon se fit entendre ; le château fut pris, et Louis XVI, qui avait été reçu en roi par l’assemblée, sortit de l’assemblée en prisonnier.

Cette catastrophe, que M. Rœderer avait voulu prévenir, et dans laquelle s’abîma la constitution, la monarchie et sa propre magistrature, fut pour lui une source de dangers et d’amertumes. Comme il avait donné l’ordre de la défense, il fut accusé par les vainqueurs d’avoir fait tirer sur le peuple ; comme il avait conseillé la retraite, il fut accusé par les vaincus d’avoir livré le roi à l’insurrection. En butte à des accusations violentes et contradictoires, qui se réfutaient mu-