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SPIRIDION.

vous favorables les anges qui vous visitent, en recevant les sacremens, et en me permettant de vous dire les prières de notre sainte liturgie… — Laisse-moi, laisse-moi, mon cher Angel, me dit-il en me repoussant avec douceur, ne fatigue pas mon cerveau par des discours puérils. Laisse-moi seul, ne trouble plus ton sommeil et le mien par de vaines frayeurs. Tout ceci est un rêve, et je me sens tout-à-fait bien maintenant ; les larmes m’ont soulagé ; les larmes sont une pluie bienfaisante après l’orage. Que rien de ce que je puis dire dans mon sommeil ne t’étonne. Aux approches de la mort, l’ame, dans ses efforts pour briser les liens de la matière, tombe dans d’étranges détresses, mais l’esprit la relève et l’assiste, dit-on, au moment solennel !

Dans la matinée je reçus ordre de me rendre auprès du prieur. Je descendis à sa chambre ; on me dit qu’il était occupé et que j’eusse à l’attendre dans la salle du chapitre qui y était contiguë. J’entrai dans cette salle et j’en fis le tour ; c’était la seconde fois, je crois, que j’y pénétrais, et je n’avais jamais eu le loisir d’en contempler l’architecture, qui était grande et sévère. Au reste, je n’y pouvais faire en cet instant même qu’une médiocre attention ; j’étais accablé des émotions de la nuit, troublé et épouvanté dans ma conscience, affligé par-dessus tout des douleurs physiques et morales de mon cher maître. En outre, l’entretien auquel m’appelait le prieur ne laissait pas de m’inquiéter, car j’avais singulièrement négligé mes devoirs religieux depuis que j’étais le disciple d’Alexis, et je m’en faisais de sérieux reproches.

Cependant, tout en promenant mes regards mélancoliques autour de moi pour me distraire de ces tristesses et me fortifier contre ces appréhensions, je fus frappé de la belle ordonnance de cette antique salle, cintrée avec une force et une hardiesse inconnue de nos modernes architectes. Des pendentifs accolés à la muraille donnaient naissance aux rinceaux de pierre qui s’entrecroisaient en arceaux à la voûte, et au-dessous de chacun de ces pendentifs était suspendu le portrait d’un dignitaire ou d’un personnage illustre de l’ordre. C’étaient tous de beaux tableaux, richement encadrés, et cette longue galerie de graves personnages vêtus de noir avait quelque chose d’imposant et de funéraire. On était aux derniers beaux jours de l’automne. Le soleil, entrant par les hautes croisées, projetait de grands rayons d’or pâle sur les traits austères de ces morts respectables, et donnait un reste d’éclat aux dorures massives des cadres noircis par