Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 16.djvu/235

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
SPIRIDION.

parole qui eût rapport à son étrange faute ; l’office des morts fut récité pour lui sans qu’il nous fût permis de demander ce qu’il était devenu ; mais par la suite je l’ai revu dehors, gras, dispos et allègre, et riant d’un air sournois quand on lui rappelait cette aventure.

Mon maître s’appuya sur moi, chancela, pâlit, et, perdant tout à coup la force miraculeuse qui l’avait soutenu jusque-là, il se traîna à grand’peine à son lit ; je lui fis avaler quelques gouttes d’un cordial, et il me dit : Angel, je crois bien que je l’aurais tué si le prieur l’eût protégé. Il s’endormit sans ajouter une parole.

Le lendemain, le père Alexis s’éveilla assez tard : il était calme, mais très faible ; il eut besoin de s’appuyer sur moi pour gagner son fauteuil, et il y tomba plutôt qu’il ne s’assit, en poussant un soupir. Je ne concevais pas que ce corps si débile eût été la veille capable de si puissans efforts.

— Mon père, lui dis-je en le regardant avec inquiétude, est-ce que vous vous trouvez plus mal, et souffrez-vous davantage ?

— Non, me répondit-il, non, je suis bien.

— Mais vous paraissez profondément absorbé.

— Je réfléchis.

— Vous réfléchissez à tout ce qui s’est passé, mon père. Je le conçois ; il y a lieu à méditer. Mais vous devriez, ce me semble, être plus serein, car il y a aussi lieu à se réjouir. Nous avons fini par voir clair au fond de cet abîme, et nous savons maintenant que vous n’êtes réellement pas assiégé par les mauvais esprits.

Alexis se mit à sourire d’un air doucement ironique, en secouant la tête :

— Tu crois donc encore aux mauvais esprits, mon pauvre Angel ? me dit-il. Erreur ! erreur ! Crois-tu aussi, comme les physiciens d’autrefois, que la nature a horreur du vide ? Il n’y a pas plus de mauvais esprits que de vide. Que serait donc l’homme, cette créature intelligente, ce fils de l’esprit, si les mauvaises passions, les vils instincts de la chair, pouvaient venir, sous une forme hideuse ou grotesque, assaillir sa veille ou fatiguer son sommeil ? Non : tous ces démons, toutes ces créations infernales, dont parlent tous les jours les ignorans ou les imposteurs, sont de vains fantômes créés par l’imagination des uns pour épouvanter celle des autres. L’homme fort sent sa propre dignité, rit en lui-même des pitoyables inventions avec lesquelles on veut tenter son courage, et, sûr de leur impuissance, il s’endort sans inquiétude et se réveille sans crainte.

— Pourtant, lui répondis-je étonné, il s’est passé ici même des