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REVUE LITTÉRAIRE.

uni par la même éducation philosophique, par les mêmes antécédens et les mêmes impulsions d’esprit. La Revue des deux Mondes, venue à un moment où cette faculté de jeune et active union était déjà perdue, a essayé du moins d’en ressaisir et d’en sauver les débris. Elle y a réussi, ce semble, avec quelque honneur : à l’unité plus étroite qui n’était point possible, elle a cherché à substituer, comme dédommagement, la conciliation et l’étendue. Au milieu de tout ce qu’on croit avoir obtenu de résultats louables en ce sens, la critique, à proprement parler, on l’avoue, n’a pas toujours eu assez de place ni de suite. On n’a pas jugé toutes choses : on a choisi souvent, on a évité. Quand on a abordé quelque écrivain, on s’est attaché parfois à le peindre plutôt qu’à critiquer ses ouvrages. Il y a eu pourtant à cela bien des exceptions fermes, énergiques, et plus d’un auteur ne serait pas, je le crois bien, de cet avis, qu’il n’y a pas eu assez de critique jusqu’ici dans la Revue des deux Mondes.

Quoi qu’il en soit, si on n’en a pas donné constamment, selon le désir du public, c’est, pour revenir aux difficultés des conditions, qu’en ce qui concerne la littérature proprement dite, le rôle de juge va se compliquant singulièrement. Les poésies, les romans sont arrivés à un tel degré d’individualité, comme on dit, à un tel déshabillé de soi-même et des autres ; le style, à force d’être tout l’homme, est tellement devenu non plus l’ame, mais le tempérament même, qu’il est à peu près impossible de faire de la critique vive et vraie sans faire une opération inévitablement personnelle, sans faire presque de la physiologie à nu sur l’auteur ou parfois de la chirurgie secrète ; ce qui frise à tout moment l’offensant.

Et puis l’industrie, qu’on retrouve de nos jours à chaque pas sous une forme ou sous une autre, intervient, se glisse entre chaque article, solliciteuse ou menaçante. Pour mieux m’expliquer là-dessus, je n’ai qu’à transcrire les lignes suivantes que je trouve dans un volume inédit de pensées : « Quand on critique aujourd’hui un auteur, un poète, un romancier, il semble qu’on lui retire le pain, qu’on l’empêche de vivre de son industrie honnête, et l’on est près de s’attendrir alors, de ménager un écrivain qui ne produit que pour le vivre et non pour la gloire. Mais au moment même où l’on adoucit la critique et où l’on essaie quelque éloge mitigé, ce mendiant si humble se relève et veut la gloire, — oui, la gloire, et la première, la suprême, pas la seconde, car il se croit in petto le génie de son siècle. Qu’est-ce donc ! pauvre critique ! que faire ? Critiquer un auteur, voilà que c’est à la fois comme si l’on cassait les vitres à la boutique d’un industriel, et comme si l’on frappait avec insulte la grotte de cristal d’un dieu ! »

On continuerait encore long-temps sur ces difficultés et ces épines de la critique, mais nous nous en tiendrons là, d’autant que ce dernier point nous mène assez droit à la récente publication de M. de Balzac.