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la vérité que par le concours de Dieu. L’homme ainsi éclairé d’en haut, dit le Docteur solennel, n’aperçoit pas la clarté au moyen de laquelle il aperçoit tout le reste.

Dans la théorie de la connaissance, Henri de Gand ne s’élève plus à cette hauteur, et l’influence de la forme péripatéticienne se fait évidemment sentir. On sait que la théorie des espèces sensibles de Leucippe et de Démocrite, modifiée par Aristote, qui reconnaissait une influence active de l’esprit dans la production des connaissances, fut communément adoptée au moyen-âge ; Henri de Gand, pour échapper à ces conséquences, tout en niant l’innéité des idées, fut forcé d’avoir recours à sa théorie de l’illumination divine et même au développement spontané. Mais c’était flotter d’un pôle à l’autre, d’Aristote à saint Augustin. Il est à remarquer qu’une objection formulée dans les derniers temps avec grand bruit, par l’école écossaise, n’avait pas échappé à Henri de Gand. Ce passage est de la plus haute importance ; je laisse parler M. Huet : « Si nous connaissons les objets par leurs images ou par leurs idées, il y a donc un intermédiaire entre l’esprit et la nature ; c’est le monde des idées et non pas le monde de la réalité que nous connaissons… Mais il n’en résulte pas que la connaissance humaine soit illusoire ; car si l’objet direct de la connaissance est bien l’image de la chose, comme cette image n’est qu’un signe naturel au moyen duquel l’esprit passe à la chose signifiée, la connaissance ne s’arrête pas à l’image et atteint par elle à la réalité. Les espèces intelligibles sont les signes des réalités, comme les mots le sont des idées. Henri de Gand oppose, comme on le voit, au scepticisme la véracité naturelle de nos facultés de connaître. Au fond, l’école écossaise ne se tire pas autrement d’une difficulté inhérente à la nature des choses. »

En considérant les universaux en Dieu et dans la nature, Henri de Gand s’élève au platonisme le plus pur. Comme les idées de Platon, les universaux ont une triple existence ; ils résident dans l’homme comme raison de la connaissance, dans la nature comme essences réalisées, en Dieu comme dans leur source première. Mais il n’y a que les choses naturelles qui aient des idées propres en Dieu, et non les individus, les relations, les conceptions purement logiques qui ne sont pas dégagées de toute limitation et élevées à l’absolu. Pour Henri de Gand, auquel Tennemann a prêté des idées qu’il n’a jamais eues, l’intelligence de Dieu est donc le monde intelligible de Platon, la région des possibles de Leibnitz. Après ces théories fondamentales, M. Huet suit Henri de Gand sur le terrain des détails ; il cite de lui une admirable page sur l’éternité de Dieu, des pensées politiques fort indépendantes, et il relève plusieurs de ses contradictions.

Désormais le Docteur solennel trouvera sa place dans l’histoire de la scholastique entre la mort de saint Thomas, en 1274, et l’arrivée de Duns Scot, au commencement du XIVe siècle. Comme eux, il n’a pas eu le bonheur d’être adopté pour chef par un ordre célèbre ; mais le beau travail de M. Huet le rend à l’histoire de la philosophie. Ces excellentes Recherches, qui se dis-