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faute ! Je vous somme de la dire ici, et moi je dirai quel traitement vous m’avez fait subir, bien que vous n’eussiez pas le droit de le faire.

Donatien, voyant que j’étais outré, et que l’on commençait à m’écouter avec curiosité, se hâta de terminer ce débat en appelant à son secours la prudence et la ruse. Il s’approcha de moi, et, du ton d’un homme pénétré de componction, il me supplia, au nom du Sauveur des hommes, de cesser une discussion scandaleuse et contraire à l’esprit de charité qui devait régner entre des frères. Il ajouta que je me trompais en l’accusant de machinations si perfides, que sans doute il y avait entre nous un malentendu qui s’éclaircirait dans une explication amicale. — Quant à vos droits, ajouta-t-il, il m’a semblé et il me semble encore, mon frère, que vous les avez perdus. Ce serait peut-être pour la communauté une affaire à examiner ; mais il suffit que vous m’accusiez d’avoir redouté votre candidature, pour que je veuille faire tomber au plus vite un soupçon si pénible pour moi. Et pour cela, je déclare que je désire vous avoir sur-le-champ pour compétiteur. Je supplie la communauté d’écarter de vous toute accusation et de permettre que vous déposiez votre vote dans l’urne, après qu’on aura fait un nouveau tour de scrutin, sans examiner si vos droits sont contestables. Non-seulement je l’en supplie, mais, au besoin, je le lui commande ; car je suis, en attendant le résultat de votre candidature, le chef de cette respectable assemblée.

Ce discours adroit fut accueilli avec acclamations ; mais je m’opposai à ce qu’on recommençât le vote séance tenante. Je déclarai que je voulais entrer en retraite, et que, comme les autres s’étaient contentés de trois jours, bien que quarante fussent prescrits, je m’en contenterais aussi ; mais que, sous aucun prétexte, je ne croyais pouvoir me dispenser de cette préparation.

Donatien s’était engagé trop avant pour reculer. Il feignit de subir ce contre-temps avec calme et humilité. Il supplia la communauté de n’apporter aucun empêchement à mes desseins. Il y avait bien quelques murmures contre mon obstination, mais pas autant peut-être que Donatien l’avait espéré. La curiosité, qui est l’élément vital des moines, était excitée au plus haut point par ce qui restait de mystérieux entre Donatien et moi. Ma disparition avait causé bien de l’étonnement à plusieurs. On voulait, avant de se ranger sous la loi de ce nouveau chef si mielleux et si tendre en apparence, avoir quelques notions de plus sur son vrai caractère. Je semblais l’homme le plus propre à les fournir. Sa modération avec moi en public, au milieu d’une crise si terrible pour son orgueil et son ambition, pa-