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met ces pays en état de nous dépasser ? Personne ne s’en est informé. Cependant nous avons plus besoin de gens qui nous avertissent que de gens qui nous louent, nous restons en arrière de la marche suivie par les autres peuples, et si nous nous apercevons qu’après nous avoir acheté du lin, on vient nous vendre de la toile, nous ne savons trouver d’autre remède que de demander que l’on repousse ou prohibe cette toile, au lieu de chercher à en faire à aussi bas prix. Il ne tiendrait pas aux réclamans que la France se passât de chemises, afin de leur ménager un marché qu’ils sont inhabiles à approvisionner. On regarde comme une conquête la production de la betterave, protégée par des droits qui sont aujourd’hui de 200 pour 100 sur le prix que la métropole rend aux colonies pour le sucre qu’elle leur achète. On abandonne le colza, le lin et toutes les autres cultures riches, pour celle qui ne se développe que sous une serre chaude, et qui deviendra plus tard une déception amère pour ceux qui s’y sont livrés. Cette époque arrivera quand le gouvernement jugera qu’il y a d’autres intérêts que ceux des propriétaires de la terre, car les agriculteurs sont désintéressés dans la question. Elle arrivera quand le commerce d’échanges, la marine, la puissance extérieure de la France, attireront les regards des chambres et du ministère, et que l’on voudra sortir de cette voie bâtarde qui fait que l’on encourage d’un côté par des primes ce que l’on détruit de l’autre par des impôts prohibitifs.

Ce n’est pas que le gouvernement soit sans une certaine intelligence de l’importance qu’il y aurait pour le pays à conserver une force navale, et c’est dans le but de pouvoir se procurer des matelots, qu’il a alloué des primes à la pêche de la baleine et à celle de la morue. Il devrait aussi compter sur le mouvement de nos ports avec les colonies que nous possédons, et comprendre tout ce qu’il ajouterait à la force publique, en conservant ces établissemens dans une condition prospère. Il devrait songer à eux comme il l’a fait pour le cabotage, cette première pépinière des matelots, auquel une ordonnance récente, qui a passé trop inaperçue, a fait grand bien en supprimant pour les navires caboteurs le droit de tonnage et d’expédition, et rendant les congés valables pour une année. Cette mesure est une de celles qu’on ne saurait trop louer, mais elle ne peut seule exercer d’influence sur notre grand commerce.

Les quatre colonies à sucre procurent à la navigation un mouvement annuel de 100,000 tonneaux environ, et de 5 à 6,000 matelots. Leur commerce réservé à la métropole a une valeur moyenne de 50 à 60 millions, et il va en rétrogradant depuis quelques années. L’on a cessé en France de comprendre quelle valeur résidait dans ces établissemens ; on méprise la possession de ces belles rades du Fort Royal et des Saintes où la France, encore chez elle, peut réunir et abriter des escadres capables de faire respecter son nom sur des rivages éloignés. En s’écartant des principes d’une sage administration qui doit tendre à aider les capitaux engagés à se dégager avec le moins de perte possible dans les époques de transition, en anéantissant, par des me-