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blissement d’une république maritime ne présentait aucune difficulté sérieuse, et cet établissement compromettait les destinées du pays. Pour séparer à jamais La Rochelle de la France, il suffisait de s’assurer de l’île de Rhé. D’une autre part, la puissance maritime de cette cité était telle que sa flotte attaqua la flotte hollandaise, et vainquit ceux qui passaient alors pour les plus habiles marins du monde. Par suite de la seule occupation de l’île de Rhé, La Rochelle devenait donc une république affermie et puissante ; la France subissait ce que l’Espagne avait subi dans les Pays-Bas ; elle avait une Hollande ; le parti calviniste devenait indomptable et faisait une guerre à mort au reste de la monarchie. Après la paix de La Rochelle, Richelieu enleva aux huguenots ces désastreux priviléges, et les réduisit, selon son expression « aux termes où tous les sujets doivent être, c’est-à-dire à ne pouvoir faire aucun corps séparé dans l’état. » Ce qu’il y eut de plus admirable dans cette entreprise, ce ne fut pas d’avoir deviné l’art de la guerre, de s’être improvisé à lui-même, pour la circonstance, l’expérience et le génie militaires ; ce fut d’avoir détaché les Hollandais, par l’appât des secours qu’il leur fournissait contre l’Espagne, de leurs co-religionnaires, de leurs frères les Rochellois ; ce fut de se faire aider par les princes et les grands dans ce siége, de les pousser à la folie de prendre La Rochelle[1], de les amener, en combattant leur intérêt de seigneurs par leur orgueil de généraux et leur piété de catholiques, à accabler un ennemi qui tenait le pouvoir royal en échec et formait l’un des points d’appui de l’aristocratie ; ce fut enfin d’enchaîner l’Espagne par la considération religieuse et de la réduire à regarder, spectatrice impuissante, le parti huguenot succombant, et la royauté française brisant les liens qui, jusqu’alors, l’avaient tenue captive.

François Ier et Henri II avaient courageusement, mais péniblement résisté à la maison d’Autriche : la mort n’avait pas laissé à Henri IV le temps de l’attaquer. Richelieu l’abaissa sans retour ; il affranchit à tout jamais et la France et l’Europe des projets de monarchie ou de suprématie universelle de cette maison, et donna pour barrière insurmontable à une ambition démesurée, d’une part les ruines qu’il entassa autour du trône des rois d’Espagne, d’une autre l’indépendance des électeurs et des princes, et la franchise de la réforme dans toute l’Allemagne. Dans l’exécution de cette grande tâche, les victoires des armes françaises ne furent qu’un instrument utile. Il fallut que Richelieu, par la profondeur et la précision de ses plans, par l’adresse et la puissance de sa politique, remuât l’Europe entière, et, durant quinze ans, la fit conspirer au triomphe de son idée. Il fallut que, contre la branche espagnole dans les Pays-Bas, il secourût la Hollande de ses subsides et de ses diversions ; que, dans la Péninsule, il soulevât le Portugal, où il aidait la maison de Bragance à remonter sur le trône, et la Catalogne, où

  1. Bassompierre disait : « Nous serons assez fous pour prendre La Rochelle, » et ce mot contenait tous les intérêts des seigneurs.