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sont restés le plus long-temps fidèles aux traditions de l’école française, je veux dire celle dont David est le fondateur. Long-temps M. Picot a défendu la mythologie et l’histoire héroïque contre l’envahissement du moyen-âge ; aujourd’hui, débordé de toutes parts, il paraît résigné à composer avec les novateurs, et son épisode de la Peste de Florence, no 1670, peut être considéré comme une heureuse tentative de conciliation entre les deux styles. Les romantiques applaudiront en le voyant renoncer aux académies nues que ces messieurs ont proscrites, et qui faisaient ressortir le talent solide et sérieux de M. Picot ; de leur côté, les classiques ne pourront l’accuser d’avoir sacrifié à l’idole du jour. Ses têtes d’un style élevé, ses draperies d’un caractère antique, son exécution correcte et sévère, attestent qu’il ne prétend pas abjurer les moyens qui lui ont valu le rang honorable qu’il occupe parmi les artistes contemporains.

Le sujet traité par M. Picot est un de ceux sur lesquels les peintres de tous temps se sont exercés, mais sa composition est originale et bien pensée. Une jeune fille vient de succomber à l’épidémie ; elle est parée suivant l’usage d’Italie, où l’on porte les morts à l’église le visage découvert ; agenouillée auprès d’elle, la malheureuse mère serre contre son sein un enfant qui lui reste, et semble supplier la madone de lui conserver au moins celui-là. Sur son visage on peut lire et la douleur, et le reproche, et la supplication ; c’est bien la douleur passionnée des femmes du Midi. Cette tête et celle de l’enfant effrayé de son mouvement qu’il ne comprend pas, sont d’un beau caractère et pleines d’expression. — On ne devine pas bien, sous les draperies, la position de la mère, et la forme des plis de sa robe fait paraître trop courte sa jambe droite. Il se peut que cette disposition ait été fidèlement copiée sur la nature, mais il y a mainte occasion où les aspects qu’elle présente doivent être modifiés pour aller au-devant des objections ; la critique exige le vraisemblable encore plus que le vrai. Je n’approuve point la vieille femme en prières dans un coin du tableau ; rarement les personnages accessoires ajoutent à l’effet du groupe principal, et celui-ci était au moins inutile.

La Esméralda de M. Steuben, no 1942, est un des tableaux que le public paraît goûter le plus ; les dames surtout l’ont pris sous leur patronage, et les éloges ne tarissent pas sur la gentillesse de la chèvre et celle de sa maîtresse. On ne peut nier en effet la grace de cette figure ; la pose en est heureuse, et la tête, bien qu’un peu grosse pour le corps, est décidément fort jolie. Toutefois, je n’y trouve pas le caractère que M. Victor Hugo a donné à son héroïne ;