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REVUE DES DEUX MONDES.

mon oreille ? La lyre est muette, et cependant Hélène est ravie en extase, comme si quelque chose planait sur elle en lui parlant… La voici qui reprend la lyre, comme pressée de répondre. Qu’a-t-elle donc entendu ? (La lyre résonne.)

l’esprit de la lyre.

Ô mes frères ! parlez à la fille des hommes ! Aidez-moi à l’instruire, afin qu’elle me connaisse, qu’elle m’aime et qu’elle me délivre. Faites-lui comprendre les mystères de l’infini, et la grandeur et l’immortalité de l’homme, cet atome divin que le souffle de Dieu aspire sans cesse pour nourrir et peupler un autre abîme de l’infini.

(La lyre se tait.)
chœur des esprits.

Ô esprit enchaîné ! tu dois passer par plusieurs épreuves ; lié par la conjuration des sept cordes, tu ne peux être délié que par la souffrance. Tel est le destin de tout ce qui réside dans l’humanité. Cette terre est une terre de douleurs. On n’y descend que pour l’expiation, on n’en sort que par l’expiation. (La lyre résonne.)

l’esprit de la lyre.

Ô purgatoire ! ô attente ! ô effroi ! Perdrai-je donc le sentiment de l’infini ? Faudra-t-il que je nage dans le doute et dans l’ignorance, comme les hommes ? Faudra-t-il que j’erre dans les ténèbres, privé de la lumière divine ?… Fille des hommes, faudra-t-il que j’habite ton ame, prison plus sombre et plus froide que la lyre ?…

(Hélène porte ses mains sur les cordes de la lyre, et les fait vibrer fortement.)
albertus.

Qu’entends-je ! Quelle harmonie nouvelle ! Quels sons puissans et doux à la fois ! Ceci est une musique moins savante et plus suave… Il me semble que je vais la comprendre… Mais que vois-je ?… Hélène touche les cordes, c’est son ame qui parle…

l’esprit d’hélène, tandis qu’Hélène joue de la lyre.

Que crains-tu de moi, esprit ingrat et rebelle ? Tu n’es point Dieu, comme tu t’en vantes ; tu es fils des hommes, toi aussi, fils de la science et de l’orgueil ! regarde-moi, et vois si je ne suis point aussi pur que le plus pur cristal. Vois si je ne suis pas inondé du rayon de l’infini, embrasé par le regard de Dieu ! Ne me dédaigne point, parce que j’habite le sein d’une vierge mortelle : cette vierge est une hostie sans tache ; un amour céleste peut lui inspirer de s’offrir pour toi en holocauste, et d’assumer sur elle l’expiation à laquelle tu es condamné. (Hélène cesse de jouer. La lyre résonne d’elle-même.)