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Louons d’abord, et sans réserve, le caractère substantiel de Marianna. Il est évident que le temps n’a manqué ni à la conception, ni à l’exécution de ce récit. On voit dès les premières pages que l’auteur a thésaurisé avant de se mettre en dépense. Il a lentement amassé, il a trié avec un soin sévère les pensées qu’il nous offre aujourd’hui. Cette méthode, que nous ne saurions recommander trop hautement, exige une patience aujourd’hui bien rare ; c’est la seule qui permette d’accomplir des œuvres durables ; M. Sandeau n’a donc pas seulement fait un livre plein d’élégance et d’intérêt, il a donné un bon exemple.

Les personnages du roman sont peu nombreux, mais dessinés avec une remarquable précision. Dès qu’ils entrent en scène, dès qu’ils parlent, chacun croit les reconnaître et les accueille comme d’anciens amis. Marianna et Noëmi, M. de Belnave et M. Valtone, George et Henri, sont conçus très simplement, et agissent de façon à ne jamais violer les lois de la vraisemblance. Le portrait des deux sœurs, Marianna et Noëmi, fait le plus grand honneur à l’imagination de M. Sandeau. Il y a dans ces deux figures une suavité qui rappelle les meilleures pages de miss Edgeworth. Je ne sais si le portrait de ces deux sœurs a été tracé d’après nature ; mais, réel ou idéal, il révèle une grande finesse d’observation. Tous les secrets de ces deux jeunes cœurs, toutes leurs espérances, toutes leurs ambitions, tous leurs rêves sont racontés avec une délicatesse que nous sommes habitué à ne rencontrer que chez les femmes. L’auteur explique et analyse, comme un souvenir de la veille, toutes les puérilités angéliques, tous les divins enfantillages dont se compose la vie d’une jeune fille. Lors même qu’il invente, il a l’air de transcrire, tant il met de naturel et de vivacité dans les tableaux qu’il nous présente. Il croit à ses personnages, il les a vus, il les a écoutés, et sa foi entraîne la nôtre. Il a plus que notre attention, il a notre sympathie. Marianna et Noëmi, unies ensemble d’une étroite amitié, mais diversement douées, nous intéressent sans jamais nous étonner. Noëmi est née pour la paix et le bonheur ; elle est pleine de courage et de raison ; elle s’applique avec une constance infatigable à réaliser le rêve des moralistes les plus sévères, à chercher la joie dans le devoir. Elle ordonne sa vie en vue du bien, et soumet à cette règle austère tous les mouvemens de sa pensée. Elle s’interdit comme insensés, comme criminels, tous les désirs qui dépassent le cercle de la famille. Aussi les vœux de Noëmi sont-ils récompensés par un bonheur sans mélange. Une fois éclairée sur la nature des espérances qu’il lui est permis de former, elle s’attache à régler sa volonté sur sa puissance, et chacun de ses jours s’embellit à la fois du souvenir de la veille et de l’espérance du lendemain. Quoique Noëmi offre le type d’une vertu irréprochable, quoique chacune de ses actions soit courageuse et sainte, nous devons dire que le personnage de Noëmi ne cesse pas un seul instant d’intéresser.

Marianna contraste heureusement avec Noëmi. Curieuse, ardente, amoureuse d’émotion, elle comprend les devoirs de la famille, mais ne peut se