Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
271
REVUE. — CHRONIQUE.

décisive pour terminer les incertitudes, et amener la formation immédiate d’un cabinet. On dit bien, il est vrai, que M. Dupin a déclaré que, s’il était nommé, il donnerait sa démission pour former un ministère ; mais le ministère sera bien plus tôt formé, si le choix de la chambre tombe sur M. Passy, qui est de la nuance de M. Thiers, et qui paraît devoir s’entendre aussi avec M. Guizot. D’ailleurs, M. Dupin, une fois assis dans le fauteuil du président, pourrait y rester par habitude, et rien ne se trouverait terminé.

Or, le temps presse, la France souffre, nos ports marchands se remplissent de navires qu’on ne songe plus à expédier, les ateliers se vident, les capitaux se cachent, et les faillites s’enregistrent chaque jour dans une effrayante progression. Au dehors, on perd toute confiance dans l’avenir de la France. Les agens étrangers, qui ne voient que la surface de l’esprit public, écrivent à leurs gouvernemens respectifs, que la république frappe aux portes de la monarchie. Les communications deviennent plus difficiles, et chaque jour ajouté à cette crise complique les embarras du dedans et du dehors. Il y a cependant de grands intérêts à régler. Un plus long retard dans la solution de la législation des sucres peut compromettre les produits des douanes et achever la ruine de nos colonies. Les travaux des chemins de fer sont suspendus, et des milliers de malheureux attendent, sans pain, que la chambre s’occupe de leur donner du labeur. La question de Belgique, qui semblait terminée, se trouve subitement suspendue, et le parti de la résistance belge s’organise de nouveau, dans l’espoir qu’il trouvera de l’appui près d’un nouveau cabinet. Enfin, ici même, à propos de nous ne savons quelle décision de peu d’importance, une feuille de la coalition annonce que la chambre ne sanctionnera aucune des mesures et aucun des choix du ministère actuel, « qui est si peu responsable et qui n’est pas sérieux. »

Voyez où en sont venues les choses, et avec quelle rapidité marchent les idées de désorganisation ! La coalition a attaqué le ministère du 15 avril en disant qu’il n’était pas parlementaire, quoiqu’il eût la majorité dans les deux chambres, et maintenant on attaque le ministère en disant qu’il n’est pas responsable. Or, sait-on qui se trouve responsable, quand le ministère ne l’est pas ? C’est le roi ! Nous voilà tout à coup reportés du milieu du régime représentatif au lendemain des journées de juillet ou aux doctrines de 1792, à la responsabilité du roi, et à l’omnipotence de la chambre, à laquelle on propose de casser les actes du gouvernement !

Qu’on nous dise s’il n’est pas temps que tous les hommes d’état qui veulent sérieusement le gouvernement représentatif, se réunissent et se liguent pour arrêter le mouvement ? Et nous ne craignons par d’adjurer tous ceux qui ont le pouvoir ou la mission de former un cabinet, quels qu’ils soient, de jeter les yeux sur ce qui se passe, et de se demander si le concours de tous les hommes capables et modérés n’est pas nécessaire en cette difficile circonstance. Depuis un mois qu’on s’agite, on n’a pas fait un pas dans la voie d’une conciliation d’où dépend, à nos yeux, le repos du pays. Au contraire, de-