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qui s’appliquent au développement des corps organiques et inorganiques dans tous les règnes de la nature.

Remarquez avec moi, messieurs, que la France est singulièrement bien placée pour entrer dans ce système de critique comparée, qui semble lui appartenir par la nature même des choses. La variété de ses provinces ne correspond-elle pas à celle des littératures modernes, et quelle que soit la diversité des instincts de l’Europe, n’a-t-elle pas autant d’organes pour en saisir le caractère ? Par le midi et le golfe de Lyon ne touche-t-elle pas à l’Italie, à la patrie de Dante ? De l’autre côté, les Pyrénées ne la rattachent-elles pas comme un système de vertèbres à la contrée d’où sont sortis les Calderon, les Camoëns, les Michel Cervantes ? Par les côtes de Bretagne ne tient-elle pas intimement au corps entier de la race gallique, qui a laissé son empreinte dans tout le génie anglais ? Enfin, par la vallée du Rhin, par la Lorraine et par l’Alsace, ne s’unit-elle pas aux traditions comme aux langues germaniques, et ne jette-t-elle pas un de ses rameaux les plus vivaces au cœur de la littérature allemande ? Les provinces de France sont ainsi, en quelque manière, les membres et les organes par lesquels ce grand corps atteint toutes les parties de l’horizon et saisit les objets et les formes qu’il veut s’assimiler. Il résulte aussi de cette diversité qu’étant en communication avec l’Europe entière par sa circonférence, la France n’a point à redouter une influence exclusive, que le nord et le midi s’y corrigent l’un l’autre, et que ce pays appelé à tout comprendre, peut s’enrichir de chaque élément nouveau sans jamais se laisser absorber par aucun.

D’ailleurs, messieurs, en même temps que les littératures modernes sont devenues une partie essentielle de la critique, la science de l’antiquité a pris une figure toute nouvelle. Long-temps on n’avait étudié que la partie, pour ainsi dire, visible et extérieure du génie de la Grèce et de Rome ; de nos jours, on a pénétré jusqu’au sanctuaire même, de cette double civilisation, au sein de ses religions, de ses dogmes, de ses cultes ; et c’est son ame même qui nous est peu à peu dévoilée jusqu’en ses derniers replis. Ajoutez qu’au-delà de la Grèce et de Rome, un monde inconnu commence lui-même à surgir. Je parle de l’Orient. Il n’a pas suffi aux théologiens et aux philologues de notre temps, de porter dans l’étude des monumens hébraïques, une liberté d’esprit qui a créé, pour ainsi dire, une nouvelle science, l’exégèse. Quelque chose de plus extraordinaire se rencontre en ce moment. Sur les bords du Gange et de l’Indus a été retrouvée toute une civilisation avec une langue sacrée, des hymnes, des épopées, une philosophie, une théologie, une scolastique ; monde encore enveloppé de ténèbres, dont quelques contours ont été seuls explorés, mais qui, dans tous les cas, recule notre horizon et semble vieillir le genre humain de tout un cycle ; en sorte que, de quelque côté que nous jetions les yeux, le cercle s’agrandit, et l’esprit de province cède partout en chaque peuple à l’esprit de l’humanité même.

Je sais bien que, par compensation, l’on se plaint que les esprits visent aujourd’hui à un idéal de grandeur exagérée, et que nul ne borne plus son