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maison réservée aux voyageurs, en face la grange, plus loin l’écurie. En sortant de cette enceinte, on trouve les stabur, ou magasins en bois pareils à de grands coffres, où la famille enferme une partie de ses vêtemens et de ses provisions. Près de là est la cabane où l’on fait cuire pendant l’hiver, dans une grande chaudière, les plantes marécageuses et les branches d’arbres qui servent de nourriture aux bestiaux ; puis le seanao ou maison de bains. Ce dernier bâtiment, que l’on retrouve dans toute la Finlande et dans toutes les provinces où les Finlandais ont établi une colonie, ne renferme qu’une grande salle carrée, qui se ferme hermétiquement de tous les côtés. Au fond, de larges bancs sont élevés contre la muraille à quelques pieds du sol. Au milieu est le foyer. Trois fois par semaine, pendant la saison du travail, et chaque samedi, pendant l’hiver, les habitans de la ferme se réunissent là le soir, hommes et femmes, dans un état complet de nudité. On fait chauffer des dalles au feu ; puis on jette sur ces dalles de l’eau bouillante, ce qui produit en quelques instans une vapeur épaisse et une chaleur concentrée qui s’élève souvent jusque au-delà de quarante degrés. Pendant ce temps, les baigneurs se tiennent debout sur leur banc ; et lorsque la sueur ruisselle de tous leurs membres, ils se frappent avec des verges pour s’exciter encore. Après avoir passé une demi-heure dans cette température, dont l’idée seule effraie celui qui n’en a pas, comme eux, contracté l’habitude, ils sortent tout nus, et vont tranquillement s’habiller dans leur chambre.

Ces gaard renferment tout ce qui est nécessaire à l’exploitation d’une ferme : on y trouve une forge, un atelier de menuiserie. Les Finlandais fabriquent eux-mêmes leurs instrumens d’agriculture ; les femmes tissent, cousent les vêtemens, et le soir donnent des leçons à leurs enfans. Il n’y a point d’écoles dans les campagnes de Finlande, mais on trouve dans chaque maison une bible, un livre de psaumes, un catéchisme, et tout le monde sait lire.

À un demi-mille de Muonioniska est la cascade d’Eyanpaïkka, la plus forte et la plus redoutée de toutes celles que l’on rencontre sur ce grand fleuve ; son nom en finlandais signifie demeure du vieux. C’est là qu’habite le vieux Neck entre les rochers ; lorsqu’un pilote maladroit s’approche trop près de sa grotte, il se lève avec colère, il agite sa baguette magique, les vagues s’enflent, et le torrent vengeur emporte dans l’abîme la barque téméraire.

Cette cascade a près d’un quart de lieue de long ; des rocs nus la bordent de chaque côté, comme un rempart ; des sapins échevelés la dominent ; des troncs d’arbres déracinés roulent dans ses flots ; l’horizon est de tous côtés fermé par des rochers et des bois ; la forêt est silencieuse et déserte ; on n’entend que le craquement d’une tige vieillie qui se brise sous l’effort du vent, ou le fracas des flots qui se précipitent contre les pierres. C’est un magnifique océan de désolation, un poème dans la solitude, un tableau sublime dans le désert.

Ordinairement les voyageurs descendent sur le rivage, en arrivant auprès