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LE PRINCE DE TALLEYRAND.

Ce changement, après l’avoir fait accepter, par qui l’accomplir ? On n’a jamais opéré de révolution en France sans qu’elle fût préparée par les événemens et légalisée par le principal corps de l’état. Il faut à la fois le sentiment de la nécessité et la décision du droit. L’invasion avait malheureusement donné l’un, le sénat donna l’autre. C’est à l’aide de ce corps, qui avait été le premier sous l’empire, et dans le sein duquel, malgré sa dépendance, s’étaient conservées, par les hommes de la révolution, les idées de 1789, que M. de Talleyrand fit prononcer la déchéance de Napoléon, former un gouvernement provisoire dont il fut le chef, et rappeler les Bourbons, sous la condition expresse qu’ils reconnaîtraient tous les intérêts nouveaux en acceptant la constitution du sénat.

M. de Talleyrand, appuyé sur les restes du vieux parti de la révolution, n’ayant pu imposer cette constitution à Louis XVIII, finit du moins par en exiger la charte. Ce ne fut qu’à la suite des engagemens formels du nouveau roi que le sénat, qui avait refusé d’aller le complimenter à Compiègne avant qu’il les eût pris, se rendit auprès de lui à Saint-Ouen. M. de Talleyrand était à sa tête et demanda en son nom une charte constitutionnelle. La déclaration de Saint-Ouen promit cette charte qui devait consacrer toutes les garanties contenues dans la constitution du sénat et être soumise à la fois à son approbation et à celle du corps législatif. C’est ce qui eut lieu, et la charte, quoique octroyée en apparence, fut imposée en réalité. Nécessité des circonstances, prix du trône, il est juste de dire qu’on la doit en grande partie à M. de Talleyrand, qui essaya d’en faire le contrat d’union entre la famille ancienne et le pays nouveau.

Outre cette transaction politique de la nation avec les Bourbons, il négocia la transaction territoriale de la France avec l’Europe. Les étrangers, qui n’avaient pas voulu accorder à Napoléon après les victoires de Champaubert, de Château-Thierry, de Montmirail et de Montereau, au-delà des limites de 1792, traitèrent alors sur la même base ; et M. de Talleyrand obtint d’eux la conservation d’Avignon et du comtat venaissin, le comté de Montbelliard, le département du Mont-Blanc composé d’une partie de la Savoie, et des annexes considérables aux départemens de l’Ain, du Bas-Rhin, des Ardennes et de la Moselle. Il fit respecter ces monumens des arts qui étaient les derniers fruits de nos conquêtes ; il crut avoir opéré une transaction habile et générale, en signant pour l’Europe la paix, pour la France l’évacuation et l’indépendance de son territoire, pour les amis des Bourbons le rétablissement de leur royauté, pour les défenseurs de