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LES CÉSARS.

celui qui, perdu dans cette foule, connaît à peine son maître et n’en est certes pas connu ; celui qu’on a acheté 400 francs au Forum sur les tréteaux d’un maquignon ; le janitor, immeuble par destination et qu’on vend avec la maison, scellé, pour ainsi dire, dans le mur de sa loge par une chaîne qui le prend à la ceinture, comme le chien dont la niche fait face à la sienne ; ou le vicarius, l’esclave d’un esclave ; ou celui qui, debout à la table de son maître pendant les nuits d’orgie, voit la verge prête à le punir pour une parole, un sourire, un éternuement, un souffle[1], qui, courbé aux pieds des buveurs ivres, essuie les ignobles traces de leur intempérance ; être si méprisé que, pour ne point profaner sa parole, son maître souvent ne lui parle que par signes et au besoin par écrit[2], vrai gibier de fouet et de prison que, dans la moindre enquête judiciaire, le maître envoie sans difficulté au tortureur, stipulant bien que, s’il meurt à la question, on lui en rendra le prix[3] !

Être accablé de toute l’ignominie domestique et de tout le mépris légal, être au-dessous de l’homme, selon le droit, seconde espèce humaine[4], ce n’est plus un homme, ce n’est plus une intelligence, c’est une chose. Si on le tue, lui, un cheval ou un bœuf, on les paie au maître[5]. Il est vrai que la générosité du maître vient à son secours, et contre la loi qui lui interdit le mariage, lui permet un quasi-mariage, un concubinage (contubernium), illégale et passagère union que le maître n’accorde parfois que pour de l’argent. Quant à ses enfans, ou plutôt les enfans de sa concubine (car le droit ne reconnaît pas de paternité entre esclaves), ils sont le croît d’un animal do-

  1. Sénèque, ep. 47.
  2. Nil unquàm se domi nisi nutu aut manu significasse, vel si plura demonstranda essent, scripto usum, ne vocem consociaret. (Tacit. Ann., XIII, 23.) — C’est l’affranchi Pallas que Tacite fait ainsi parler.
  3. Paul., sent. V, lit. XVI, § III.
  4. Florus, III, 20.
  5. Le droit romain fournirait au sujet des esclaves tout un volume de passages curieux, dans lesquels, du reste, on ne trouverait que les conséquences d’un même principe, déduit avec cette logique qui caractérise les jurisconsultes de Rome. En voici un seul :

    « 210. Par le premier chef de la loi Aquilia, il est pourvu à ce que tout homme qui aura tué sans droit, soit un homme, soit un des quadrupèdes qualifiés animaux domestiques, appartenant à autrui, soit condamné à payer au maître une somme égale à la plus grande valeur de cet objet depuis un an. — 212. On ne doit pas seulement tenir compte de la valeur corporelle ; mais, au contraire, si la perte de l’esclave occasionne au maître un dommage plus grand que la valeur propre de l’esclave, il en faut tenir compte. Ainsi, si mon esclave a été institué héritier, et s’il est tué avant que, par mon ordre, il n’ait accepté l’hérédité, il faut encore, outre son prix, me payer la valeur de l’hérédité perdue. De même, si de deux jumeaux, de deux comédiens ou de deux musiciens on a tué l’un, on doit compter et le prix du mort et la dépréciation que sa mort a occasionnée sur la valeur du survivant. De