Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/470

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
466
REVUE DES DEUX MONDES.

nique possédait Mayence et Luxembourg, ne valait-il pas mieux placer entre la Sarre et le Rhin, à quelques marches de notre capitale, un petit état qu’un grand, un souverain nécessairement inoffensif qu’une puissance du premier ordre qui servait alors d’avant-garde à l’Europe ? Ne valait-il pas mieux la Prusse sur les flancs de la Bohême que sur la frontière de la France ? Ne valait-il pas mieux augmenter sa rivalité avec l’Autriche en Allemagne en multipliant leurs points de contact et rendre ses futurs rapports avec la France plus faciles en l’éloignant de son territoire ?

Il est vrai, et c’était un des résultats de sa dextérité, que M. de Talleyrand était parvenu à diviser les puissances ; qu’il avait décidé l’Autriche et l’Angleterre à repousser les prétentions absolues de la Russie et de la Prusse, même par les armes ; qu’il avait signé avec lord Castlereagh et le prince de Metternich, le 5 janvier 1815, un traité secret d’union et même de guerre éventuelle ; qu’il avait contraint, par la persévérance de ses efforts, la Prusse à se contenter d’un tiers de la Saxe et la Russie à se dessaisir d’une partie du grand-duché de Varsovie.

M. de Talleyrand croyait avoir formé une alliance dans l’alliance, il croyait avoir séparé pour long-temps l’Autriche et l’Angleterre de la Prusse et de la Russie ; il croyait avoir divisé l’Europe, relevé la politique de la France, lorsqu’un évènement inattendu, mais provoqué par les fautes des Bourbons, vint déjouer son habileté, de telle sorte que la Prusse resta sur la Sarre et que la coalition européenne fut renouée. Napoléon quitta l’île étroite où avait été enfermée sa souveraineté, et vint montrer à l’armée son général, à la France son empereur. En le sachant débarqué sur les côtes de Provence, les souverains et les négociateurs réunis à Vienne, tout émus par cette prodigieuse hardiesse, ne s’étaient pas mépris sur son résultat. Le retour du danger suspendit toutes les divisions. Le traité de Chaumont fut renouvelé, et Napoléon fut mis au ban de l’Europe.

Ces mesures, auxquelles M. de Talleyrand participa, auraient probablement été prises sans lui ; mais il n’en est pas moins à déplorer, pour un Français, d’y avoir coopéré, puisqu’elles amenèrent une invasion de la France. Il y a des sentimens qui doivent être au-dessus de tout ; il y a des principes qui sont supérieurs à tous les droits, et plus vrais que tous les systèmes. Le sentiment qui fait aimer son pays, le principe qui défend de provoquer contre lui les armes étrangères, sont de ce nombre. L’indépendance de la patrie doit l’emporter sur la forme des gouvernemens et sur les intérêts des partis.