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ouverte contre l’autorité du grand-seigneur. En donnant la qualité de sujet à des hommes qui n’étaient que ses administrés, il faisait acte de souveraineté, il proclamait son indépendance. Cinq ans plus tôt, il eût reconnu la suprématie de Mahmoud ; aujourd’hui sa puissance était consolidée, son armée nombreuse, aguerrie, bien commandée par son fils Ibrahim, l’héritier de sa puissance. L’occasion de frapper un grand coup était bien choisie ; la Porte n’avait point d’armées dignes de ce nom. Des corps levés à la hâte, mal équipés, mal disciplinés, commandés par des chefs braves, mais incapables, tels étaient les élémens de défense qu’offrait alors la Turquie dans une lutte contre le vice-roi. Elle devait être et elle fut vaincue.

La marche d’Ibrahim ne fut qu’une suite de triomphes. La prise de Saint-Jean-d’Acre (8 juin 1832), celle de Damas (14 juin), les batailles de Homs et de Huna (9 et 11 juillet), le mirent en possession de la Syrie ; celle de Bylan lui assura les défilés du Taurus ; enfin, la journée de Koniah (21 décembre 1832), dans laquelle la Porte perdit sa dernière armée, lui livra toute l’Anatolie et lui ouvrit le chemin de Constantinople.

Cette guerre entraîna pour le sultan des effets non moins désastreux que celle de 1828. Sa puissance d’opinion y succomba tout entière. Les habitans de l’Anatolie, parmi lesquels le janissarisme avait conservé de nombreux partisans, assistèrent aux désastres des armées ottomanes avec une sorte de satisfaction, regardant Ibrahim comme l’instrument de la colère céleste et le vengeur des dernières humiliations infligées au croissant. Il fut évident alors que Mahmoud avait perdu la confiance publique, et que, s’il n’avait pas trouvé dans une force étrangère une protection pour sauver son trône et sa tête, il eût été perdu : le peuple l’eût vu tomber sans rien tenter pour le défendre. Aussi, que d’anxiétés et d’incertitudes dans l’esprit de ce malheureux prince ! Cet homme, naguère d’une obstination si inflexible, ne sait plus aujourd’hui où se fixer ; il s’adresse d’abord à l’Angleterre, qui lui refuse ses secours ; il se tourne alors vers la Russie, qui épiait l’occasion de l’écraser de sa protection. Humilié d’avoir recours à un pareil appui, il veut rétracter sa demande, mais le péril croît, il approche ; Ibrahim n’est plus séparé de Scutari que par quelques journées de marche ; la crainte l’emporte, Mahmoud revient à la Russie qu’il hait, mais qui peut seule le sauver. Nous ne reconnaissons plus à ces fluctuations mêlées de terreur le prince audacieux qui, en décembre 1827, osait jeter le gant à son puissant ennemi. Mahmoud sortit de cette crise affreuse en signant les traités