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encore au front tous les signes de leur défaite et de leur servitude. La loi du vainqueur les tient courbés et humiliés, les rejette en dehors de la loi commune, ne les appelle ni au gouvernement, ni à la défense du pays. Politiquement ils appartiennent à la race victorieuse, et administrativement ils sont la proie des pachas. Ces peuples ne sont point agglomérés sur un point obscur de l’empire ; ils couvrent un vaste territoire ; ils sont le fonds de la population de la Turquie d’Europe. Or, si l’on vient à scruter dans ses profondeurs la question d’une réforme générale en Turquie, une première difficulté se présente. Quelle sera la condition des rayas au milieu de ce mouvement régénérateur ? On ne peut supposer qu’ils resteraient plongés dans l’état d’abjection politique où les a jetés la conquête. Ils ne sauraient rester en dehors d’une révolution qui renouvellerait la face de l’Orient. Le premier degré d’amélioration, pour les races chrétiennes, serait naturellement d’être relevées de leur dégradation présente, et placées, au point de vue social, sur la même ligne que les vainqueurs. Mais cette émancipation pourrait-elle s’accomplir sans renverser l’œuvre de la conquête, sans briser le lien du faisceau qui tient réunies tant de races diverses sous le sceptre des descendans d’Othman ? Les peuples ne s’arrêtent point dans la voie du progrès. Les populations chrétiennes auraient-elles obtenu leur affranchissement, elles ne seraient point satisfaites ; elles ambitionneraient davantage ; elles aspireraient à l’indépendance politique ; elles voudraient, en un mot, redevenir nations. Dans notre conviction, il ne saurait exister pour les rayas de condition transitoire entre leur infériorité présente et l’indépendance ; ils sont condamnés à subir le joug ou à le briser. De son côté, la Porte, si elle ne veut pas se détruire elle-même, doit conserver aux Turcs leur suprématie politique et sociale sur les rayas. S’il est dans ses destinées de voir l’édifice élevé par les mains de Mahomet II s’abîmer sous l’action d’une civilisation progressive, ce n’est pas à ses successeurs à le renverser de leurs propres mains. Mahmoud avait rendu un firman, en 1826, qui autorisait les rayas à porter le même costume que les Turcs ; c’était faire un premier pas vers l’égalité des races. La guerre de Grèce durait encore, et il espérait, par cet acte de conciliation, amener un rapprochement entre les populations chrétiennes et musulmanes. Il a compris plus tard la portée d’une semblable mesure, et, en 1836, il l’a révoquée.

Une réforme en Turquie ne saurait donc avoir cette large extension, cette portée civilisatrice qui fut le caractère des réformes introduites, il y a un siècle, en Russie, par Pierre-le-Grand. Il est dans sa destinée d’être presque exclusivement militaire et administrative,