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heureuse sur leurs contemporains. Au premier rang, il faut compter O’Connor, Wyse et le docteur Curry. Il y a quelque chose de dramatique et d’émouvant dans la circonstance où se révéla à ce dernier sa patriotique mission. Passant un jour sur une des places publiques de Dublin, il vit, à l’issue d’un sermon où se pressait la foule, sortir une toute jeune fille, l’œil enflammé, les bras tordus par la rage, et prête à frapper du poignard de Judith l’un de ces sanguinaires papistes dont on venait, dans une chaire chrétienne, de lui présenter un effroyable tableau. Pendant que le peuple s’ameutait autour de la jeune enthousiaste, le docteur Curry rentra chez lui tout plein d’une triste pensée et tout entier à un grand devoir. Il prit avec lui-même l’engagement de faire pénétrer enfin dans l’intelligence obscurcie de ses compatriotes quelques notions historiques, et dans leur ame quelques sentimens de justice. De là cette histoire des guerres civiles d’Irlande[1], qu’on remarquerait comme un travail de sagacité et d’érudition, si elle n’était avant tout une œuvre de courage et une première protestation contre la fortune.

O’Connor de Ballenagar, chef d’une puissante famille, et né lui-même dans une chaumière, l’un des hommes de son siècle les plus profondément versés dans les antiquités nationales, embrassa avec ardeur cette même pensée. À ceux-ci se joignit un troisième travailleur, M. Wyse, d’un tempérament plus ardent, d’un esprit plus résolu, et dont la vie comme la mort furent empreintes de ce cachet de tristesse, apanage de quiconque emporte dans la tombe une espérance ferme, mais inaccomplie. « Ses jours, dit M. Wyse le jeune, l’auteur de l’Histoire de l’Association catholique, furent assombris et mis en danger par toutes les applications d’un code terrible. Après avoir vécu sous le coup de persécutions perpétuelles, entouré d’espions et de dénonciateurs, il mourut le cœur brisé, prescrivant à ses enfans, dans l’acte de ses dernières volontés, de vendre le peu qui leur restait encore des propriétés paternelles, pour aller attendre de meilleurs jours sur une terre où ils pourraient adorer Dieu comme les autres hommes, et suivre en plein jour et à la face du ciel la religion de leur cœur et les prescriptions de leur conscience. »

Ces trois hommes ne bornèrent pas leur mission à des travaux isolés. Ils conçurent l’idée d’un premier appel à la noblesse et au clergé catholiques, et les convièrent à s’unir pour résister à leurs

  1. Historical and critical review of the civil wars in Ireland from the reign of queen Elisabeth to the settlement of king Will. III.