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sionné le monde pendant six années : en exposant comment se forma l’association catholique, notre but a bien moins été d’écrire l’histoire si connue du passé que de faire comprendre la situation que pourrait reprendre l’Irlande en face de circonstances analogues. Pour apprécier la portée des questions pendantes aujourd’hui entre le torysme et ce pays, pour savoir de quelles ressources disposerait celui-ci, à quels souvenirs il aurait à faire appel si des intérêts semblables rendaient une même énergie à ses passions, une même unité à ses actes, il a fallu le montrer dans un de ces momens suprêmes où les peuples n’ont de secrets ni pour les autres, ni pour eux-mêmes.

Nous ne ferons point assister nos lecteurs à ces grandes scènes religieuses et populaires où s’unissent dans une inspiration commune le génie du moyen-âge et celui des temps modernes, où Pierre l’Ermite et Mirabeau semblent renaître dans un même homme : saisissante vision aujourd’hui évanouie, mais dont la mémoire suffira seule pour assurer à l’Irlande les dernières conséquences de sa conquête, et faire reculer l’orangisme, s’il ose jouer les destinées de la Grande-Bretagne dans une lutte qui serait la dernière.

Du jour où l’association avait pu déterminer les freeholders à quarante shellings à voter publiquement contre les candidats de leurs propriétaires, du moment où les fermiers catholiques envisageaient de sang-froid le résultat d’un acte qui les vouait à la misère, et que leur héroïque abnégation eut triomphé à Waterford, à Louth et enfin à la grande élection de Clare, l’aristocratie anglicane comprit qu’elle était perdue, et l’orangisme ne protesta plus que par les cris d’une rage impuissante. En face d’un pouvoir qui disposait ainsi de la force sans en user, qui imposait de tels sacrifices aux consciences et une telle harmonie à de longues rivalités, il n’y avait plus qu’un parti à prendre. Les plus constans ennemis de l’Irlande s’inclinèrent devant une inflexible nécessité, et le bill d’émancipation traversa enfin toutes ses épreuves parlementaires.

Ici commence, dans les affaires d’Irlande, une période nouvelle moins éclatante et surtout moins connue, période importante toutefois pour l’avenir de ce pays non moins que pour celui de l’Angleterre, dont la fortune se trouve plus étroitement enlacée chaque jour à celle de son implacable ennemi.

Nous l’avons dit dans nos études précédentes, l’émancipation de 1829[1], loin d’exercer sur l’état intérieur de l’Irlande la pacifique

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1838 : De l’Angleterre, 2e partie.