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LA VALACHIE.

la maison de poste, des palefreniers couraient à la prairie où les chevaux restent nuit et jour, et, de gré ou de force, en amenaient quatre pour l’attelage. Les relais se succédaient promptement, et vers le soir j’arrivai à Boukarest.

Si Boukarest est bien fournie en caravanserais pour les campagnards et les gens du pays, en revanche les étrangers n’y trouvent point une auberge. Un Grec, fort honnête homme, — le fait est assez rare pour qu’on le remarque, — y a seulement fondé depuis peu un café-casino où deux chambres sont à la disposition des voyageurs. Le lendemain, encore tout meurtri du supplice du caroutche, je commençai mes courses. Ma première visite fut pour le consul de France, M. de Châteaugiron, qui me reçut avec cette politesse gracieuse et prévenante dont nos agens diplomatiques possèdent presque tous le secret. J’avais aussi quelques lettres à remettre, et je pus dès l’abord apprécier tout ce qu’il y a d’aimable et d’hospitalier dans le caractère des Valaques. Un Français est fêté à Boukarest comme un ami, comme un compatriote, et souvent, en effet, dans un salon où la conversation se fait dans notre langue, où l’on parle de nous, de notre littérature, de Paris, ce grand foyer de lumière qui rayonne sur l’Europe, on se demande si vraiment la Valachie en est séparée par tant de pays où les mœurs et les idées françaises exercent moins d’influence. De retour au casino, le maître du logis me demanda si je ne voulais point aller au théâtre. — Quoi ! vous avez un théâtre ici ? — Oui, monsieur, et le mois dernier des acteurs français y jouaient le Mariage de Raison et d’autres vaudevilles. Ce soir, il y a concert, et voici le programme. — Je pris le papier qui m’était présenté, et je lus, au-dessous d’une lyre portée par un génie : Théâtre de Boukarest. Paolo Cervati, ténor de l’Opéra Italien, de passage en cette ville, et se rendant à Milan pour les fêtes du couronnement, a l’honneur de prévenir la haute noblesse et les amateurs de musique, etc., etc. Commencement à sept heures. La citation est textuelle. Et que devait chanter il signor Cervati ? Des cavatines del Pirato, del Furioso, et des grands airs de l’opéra il Themistocle. À sept heures donc, je me fis conduire au théâtre ; le bâtiment n’est qu’une grande barraque construite en bois, mais on a ménagé dans l’intérieur une salle assez bien distribuée. L’assemblée était au grand complet ; les femmes, vêtues selon la dernière mode, portaient leurs brillantes parures avec grace ; les hommes, à de bien rares exceptions près, ont aussi adopté nos costumes. Les officiers, en grand uniforme, tout couverts de torsades et de broderies, paradaient devant les dames, comme les beaux de garnison dans nos villes militaires. Le parterre