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lité que nous ne pourrons jamais oublier. M. Slatiniano eut la bonté de diriger lui-même nos courses dans la ville et aux environs, et personne ne le pouvait mieux que lui ; car il a pour sa part contribué à jeter les bases de la prospérité future de Brailow. Les Russes, en 1829, après un siége long et sanglant, s’étaient emparés de cette ville ; le général Kisselew ordonna de raser les murailles, et, croyant la place bonne pour l’établissement d’un entrepôt commercial, il chargea M. Slatiniano de faire commencer les travaux nécessaires. Trois cents malheureux habitaient alors les décombres de la forteresse ; aujourd’hui Brailow est une ville de huit mille ames ! Beaucoup d’étrangers sont venus s’y établir, et tous ont la faculté d’y trafiquer en gros et en détail. Les Turcs seuls, malgré leurs droits de souveraineté, ne peuvent y demeurer, s’ils n’ont déclaré à la police les motifs et la durée de leur séjour ; le commerce de détail leur est interdit ; on leur refuse également l’exercice de leur culte ; enfin, et ce fait est plus caractéristique encore, un musulman ne peut obtenir la sépulture en Valachie.

Le plan de Brailow est arrêté ; on juge déjà de l’étendue de la ville future et de ses bonnes dispositions par les palissades de bois qui indiquent les rues, et qui, de jour en jour, sont remplacées par des constructions. Le port commence à être fréquenté ; en 1831, on avait eu de la peine à trouver assez de blé dans le pays pour charger deux bâtimens, et en 1837, plus de trois cents navires venaient y chercher leurs cargaisons. Les paysans ne pouvaient oublier les rapines dont ils ont souffert si long-temps ; voyant le fruit de leur labeur passer dans des mains étrangères, ils avaient pris le parti de ne pas étendre leur culture au-delà des besoins de leur famille. Ils reprennent enfin confiance, et les villages du district entrent dans une ère de prospérité. Outre la capitation, leurs habitans ont consenti sans peine à fournir, par famille, trois piastres destinées à l’achat d’instrumens de labour, de bons étalons, et à des réparations locales.

Ces détails suffiront pour donner une idée de l’importance commerciale de Brailow. Les étrangers n’ignorent pas les ressources de la ville nouvelle. Les Autrichiens, dont les progrès, en matière d’industrie, sont plus rapides que notre indifférence ne le soupçonne, et les Anglais, ces spéculateurs infatigables, entretiennent avec Brailow des relations fort suivies, et sans doute avantageuses. Les Turcs, les Napolitains et les Grecs y viennent aussi chercher des blés et des denrées de première nécessité. Sur les sept cents bâtimens qui, chaque année, depuis 1832, séjournent dans les ports de Brailow et de