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REVUE DES DEUX MONDES.

Voyez son œil reluire, et se tendre sa plume.
Oiseau luxurieux, il ose, il s’accoutume…
Hélas ! adieu le cygne, et la vierge, et son sein !
Une épaisse vapeur qui monte du bassin,
Remplit l’air embaumé de ses tièdes haleines,
Et voile à mes regards la plus douce des scènes.

Le manteau magique se déploie dans l’air ; Faust et Méphistophélès s’enveloppent de ses plis nuageux ; et comme le vent du nord les pousse à travers l’espace, Homunculus file devant en éclaireur, et sa lanterne, qui tremblotte, illumine le chemin[1]. Wagner voudrait bien être du voyage, mais le pauvre homme ne le peut. La médiocrité de sa nature, fermée, dès le premier jour, aux angoisses de la science, à ces sensations à la fois désastreuses et fécondes qui sont comme les ailes de feu sur lesquelles Faust s’élève par moment aux régions supérieures, la médiocrité de sa nature le cloue au sol. Le ver obscur continuera, comme par le passé, à ramper oisivement dans la poussière des livres, il rongera jusqu’à la fin les fades racines de la fleur, sans pouvoir s’élever jamais au calice pour y boire cette rosée du ciel et de l’enfer, que la science y distille, ce breuvage de la vie et de la mort, doux et fatal, qui porte le délire dans le cerveau, les désirs insatiables dans les sens, et dont l’intelligence seule aime à s’enivrer. « Reste, lui dit, en se dégageant de ses mains débiles, le malicieux phosphore. Reste, ton œuvre à toi, maître, est bien autrement importante ; songe que tu dois feuilleter les vieux parchemins, rassembler en bon ordre les élémens de la vie, et les classer avec circonspection. Ne manque pas de méditer la cause, de méditer plus encore le moyen. Pendant ce temps, moi, je vais parcourir le monde et tâcher de découvrir le point sur l’I. »

Une admirable qualité de Goethe, celle qui, sans nul doute, le distingue le plus entre tous les grands poètes, c’est cette inflexible logique qu’il apporte toujours dans la composition de ses caractères, cette loi de déduction qui ne varie jamais. Voyez Wagner ; est-ce là un caractère qui se dément ? Le monde où il se meut a été bouleversé de fond en comble, les montagnes s’élèvent là où les fleuves

  1. Qu’on se rappelle, à propos des évolutions aériennes et lumineuses de la fiole d’Homunculus, le feu follet qui, dans la première partie, éclaire Faust et Méphistophélès, et fait route avec eux à travers les rudes sentiers du Brocken.

    méphistophélès.

    Va droit, au nom du diable, ou j’éteins d’un souffle l’étincelle de ta vie.

    (Faust, première partie, 144.)