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se souvienne de la scène de la promenade, dans la première partie. Faust, en proie aux misères de son existence, traverse la ville un soir d’été, et partout sur ses pas la foule se découvre en signe de respect et d’admiration. Or, Wagner, qui l’accompagne, ne manque pas d’être ému jusqu’aux larmes par ces témoignages glorieux, et le voilà qui se prend aussitôt d’enthousiasme pour la science, qui doit être une fort belle chose, puisqu’elle commande à la multitude une vénération pareille. Cependant Faust, absorbé par la vie intérieure, s’aperçoit à peine de l’accueil qu’on lui fait, et, tandis que le vieux Philistin radote à son aise en cheminant à ses côtés, lui, rêveur, s’abandonne à quelque fantaisie sublime qui l’emporte vers les régions empourprées du soleil couchant. Il en est de même ici ; Homunculus s’envole et part, et Wagner reste à terre, comme toujours. Wagner a commencé par balayer le laboratoire de Faust ; peu à peu il a monté dans la hiérarchie, les grades lui sont venus avec les années ; ses entretiens familiers avec le docteur, la poussière des livres qu’il respire, l’air qui s’exhale des fourneaux, tout cela finit par troubler sa pauvre cervelle, au point qu’un beau jour il s’empare de l’attirail de Faust et se met à travailler pour son propre compte, mais sans but, sans vocation, sans idée. Entre Wagner et les êtres fantastiques dont il s’entoure, il ne peut exister d’alliance durable ; chaque fois que le bonhomme lève le nez en l’air, c’est pour voir quelqu’un des siens qui lui échappe par toute sorte de transformations auxquelles son ingrate nature refuse de se prêter. Cependant il ne se décourage pas ; au contraire, vous le trouvez toujours heureux, épanoui, satisfait de lui-même, et c’est par ce côté surtout que ce caractère est admirable. La sérénité pure est en Dieu seul, qui crée sans souffrance ni travail, par le seul acte de sa volonté éternelle, et se repose aussitôt dans son œuvre ; le génie humain crée aussi, mais dans la tristesse et les angoisses, et la béatitude ou le calme céleste ne se réfléchit au monde qu’au sein de la médiocrité. On dirait que Dieu donne aux uns la pensée, aux autres la quiétude, sans vouloir jamais rassembler en un seul la pensée et la quiétude, comme s’il craignait de voir trop près de lui le mortel doué de ces deux facultés faites pour se développer et s’agrandir l’une par l’autre. Je ne sais, mais il me semble qu’il y a là tout le secret de la chute. Lucifer, c’est la pensée dans la béatitude et s’exerçant sous l’influence de l’orgueil. Wagner, dans toute sa vie, n’a pas un seul instant de tristesse ou de déception ; si l’œuvre où il met toutes ses espérances avorte un beau soir, il en prend bravement son parti, dort sur les