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permet toujours de distinguer le fond d’avec la forme, et de saisir l’unité de l’esprit sous la variété de la lettre. Le jour où la race gallo-romaine aura pu s’assimiler quelque chose du génie germanique et oriental, elle aura trouvé dans ce développement de nouveaux gages de grandeur et de stabilité. Nous ne saurions parler de l’Allemagne, de ses rapports avec la France, sans songer à la perte douloureuse qui vient d’affliger les deux pays. Édouard Gans, professeur à Berlin, a été ravi à la science avant d’avoir atteint sa quarantième année. Il y a onze ans, nous analysions, pour la France, sa belle Histoire du droit de succession ; nous disions quelle brillante application il savait faire de la philosophie de Hegel à la jurisprudence ; plus tard, il nous fut donné de connaître et d’affectionner l’éloquent écrivain que nous avions loué. Nous avons pu, à Vienne, à Berlin, à Paris, jouir de son entretien si fécond et si vif, apprécier tout l’éclat de son esprit et toute la chaleur de son ame. Édouard Gans n’était pas moins orateur qu’écrivain ; il portait dans la conversation une fougue passionnée et une verve intarissable ; peut-être même y prodiguait-il trop ses forces et ne réservait-il pas assez de vigueur primesautière pour les travaux du cabinet et les développemens de la chaire. Mais tel était son amour pour les idées, et aussi sa fécondité pour les concevoir et les produire, que toujours et partout il aimait à les répandre, même au milieu des délassemens de la promenade ou de la table. Il y avait en lui quelque chose de Diderot. Sa manière de professer était large, son langage ardent et pittoresque. Nous l’avons entendu, et nous avons vu combien il remuait les esprits par la vibrante exubérance de sa parole. Après l’Allemagne, les deux pays qu’il chérissait le plus étaient la Pologne et la France. À Berlin, il aimait à rassembler autour de lui l’élite de la jeunesse polonaise. Outre sa sympathie pour la noble cause qui condamnait à l’exil tant de généreux courages, il trouvait dans la promptitude d’imagination et la spirituelle mobilité qui distingue la race slave, des affinités intellectuelles qui lui plaisaient. Il jouissait avec délices de ses séjours à Paris ; il y connaissait presque tout ce que la science et la société comptent de célèbre et de distingué. Il parlait notre langue avec une vivacité brillante qui pouvait faire envie à plus d’un Français. L’étude de notre littérature avait singulièrement assoupli son style et perfectionné son talent : aussi dans les derniers volumes de son Histoire du droit de succession, dans ses lettres sur les cinquante dernières années, dans de nombreux morceaux de critique historique et philosophique, ses amis trouvaient avec plaisir un progrès qu’une mort imprévue est venue bien cruellement interrompre. Même à Berlin où l’intelligence compte tant de représentans