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LA GRÈCE ORIENTALE.

leur tour, et il s’éleva souvent contre eux de nouveaux clephtes. L’intérêt qui s’est attaché de tout temps à ce nom sert aujourd’hui les hommes qui traitent le gouvernement royal comme les clephtes d’autrefois traitaient les Turcs, et tel bandit a dû à ces dispositions des masses l’asile où il a pu se soustraire aux poursuites de la police.

L’année dernière, deux cents voleurs, car il faut maintenant employer le mot français, qui exprime mieux que le mot grec ce que sont ces hommes ; deux cents voleurs, dis-je, s’établirent près de la frontière turco-grecque, dans le gouvernement de Lamia ou de Zeitoun. Ils se divisèrent et se portèrent dans des localités favorables au vol et à la spoliation ; quelques-uns d’entre eux, Spartiates avilis et dégénérés, occupèrent le défilé des Thermopyles, non pour s’y dévouer à la patrie, mais pour y attendre le voyageur isolé, pour le dépouiller, pour le frapper, et pour lui arracher la vie, s’il n’y avait que ce moyen de lui arracher sa bourse.

Les Turcs, dit-on, encouragèrent d’abord les bandits, leur offrirent même un asile quand ils étaient serrés de trop près, et l’on vit alors d’anciens soldats de l’insurrection contre les Turcs (car il y avait de tout dans ces bandes) se faire les serviteurs de la haine des Turcs contre la Grèce devenue indépendante. Bientôt ces bandes commirent des délits en Turquie même ; c’était un moyen d’employer le temps qu’elles étaient obligées d’y passer. Alors les Turcs, punis d’avoir protégé de pareils hommes, leur firent la guerre à leur tour. Traqués des deux côtés, mais poursuivis plus vivement en Turquie, ils se jetèrent définitivement en Grèce, et y commirent toutes sortes d’excès. On organisa une colonne mobile de trois cents hommes, qui parvint à les dissoudre. Soixante-dix de ces malfaiteurs furent tués les armes à la main ou exécutés après avoir été pris vivans. Le reste s’est divisé et se montre encore de loin en loin, soit aux Thermopyles, soit du côté de Patradjic, soit en Livadie, soit aux environs de Thèbes. La police continue à les poursuivre ; mais ces voleurs ont, ainsi que je vous l’ai dit, de nombreuses intelligences, et parviennent presque toujours à s’échapper. On dit que les huttes des bergers sont leurs refuges habituels.

Ces bergers, clephtes aussi par occasion, mènent une existence tout exceptionnelle ; vivant au milieu des bois avec leurs moutons et leurs chiens, le passage de la plus petite caravane fait époque dans leurs souvenirs. Aussi, dès qu’une bande à cheval apparaît au détour d’une vallée, un cri perçant est jeté ; ce cri se répète de proche en proche, on voit aller et venir des hommes, on entend des aboiemens de chiens : c’était une de ces scènes qui avait lieu au fond du golfe que nous côtoyions.

Arrivés au bas d’un défilé, de nouveaux cris, de nouveaux aboiemens se firent entendre ; les moutons restaient livrés à eux-mêmes, les hommes étaient sans doute allés en avant. On chercherait en vain en Europe, je crois, un spectacle comme celui qui s’offrait alors à nous. La route, si l’on peut appeler route une sorte de chaussée d’un mètre de largeur, pleine de trous