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REVUE LITTÉRAIRE.

drame le bonheur qu’elle finit par rencontrer tout simplement dans le mariage, qu’on retrouve le talent léger et caustique de M. Karr. Il y a encore des mots charmans et très méchans dans Clotilde. Je n’en citerai que deux : « Nos premières années sont comme des pères prodigues, elles déshéritent les dernières. » — « Le mariage sans amour, c’est le jour sans l’aurore. » Il faut vraiment du courage pour être sévère envers M. Karr. Toutefois je veux finir comme j’ai commencé et redire à l’auteur ce que la critique ne cesse de lui répéter, ce qu’il est trop malin pour ne pas sentir lui-même : pourquoi gaspiller tant d’esprit ? Mais j’entends d’ici M. Karr me rire au nez, et redire le dialogue des pièces de cinq francs dans Clotilde.

Mignard et Rigaud, par M. Paul de Musset[1]. — Les deux peintres qui donnent leur nom à ces volumes nous ont laissé les portraits de beaucoup de personnages célèbres de leur temps, et, devant les figures gracieuses ou sévères qui nous restent d’eux, on peut se croire tour à tour dans les jardins de Ruel après un dîner d’Anne d’Autriche, ou à Versailles pendant un grand lever de Louis XIV. M. Paul de Musset a voulu écrire pour l’esprit ce qu’en leur temps Mignard et Rigaud avaient peint pour les yeux, et il a fait poser devant lui quelques-unes des têtes les plus originales du XVIIe siècle, quelques-unes de ces figures esquissées d’un crayon si ferme par Tallemant des Réaux et Saint-Simon. De là le titre donné à cette série de portraits, à ces dessins légers, aimables et sans prétention, dont une fantaisie habilement ménagée anime, sans la détruire, l’exacte réalité. Pour conserver mieux encore la couleur du temps, l’auteur s’est efforcé de garder la langue du xviie siècle, non celle de Varillas ou de Dangeau, mais celle qu’employait Patru au barreau, celle qu’écrivaient Pellisson et Mme de Motteville, celle que devaient parler au Marais Mme Cornuel, à la cour Mme de Montausier. Pour mieux dire, on croirait souvent feuilleter des pages de Mme de Launay dans lesquelles une main habile aurait introduit quelques formes rajeunies du temps de Voiture ; car, pour le talent de raconter simplement, pour la pente facile du récit et du style, pour la touche légère, cela sent quelque peu aussi son XVIIIe siècle, et à la rigueur aurait pu être écrit sous M. le régent. Ce ne sont là sans doute que des bluettes, mais des bluettes agréables à lire, où l’esprit court vite et sans façon comme la plume de l’auteur, où on rencontre, non point les héros fantasques, bizarres, imaginaires de nos modernes, mais des bourgeois, mais des grands seigneurs, mais des femmes jolies et aimables, comme il y en avait au bon temps. Point d’inégalités capricieuses d’imagination, pas de saveurs factices ; nulle part l’ame blasée du lecteur n’est chatouillée par des moyens exagérés, nulle part l’auteur ne tente ces hasards de style, de pensée et d’action qui fatiguent vite chez nos prolixes romanciers.

Quand M. Paul de Musset est quelque peu soutenu par l’intrigue de son sujet, rien n’est plus amusant, plus gai et d’une lecture moins compliquée et plus attachante que ses petites nouvelles. Le Cheval de Créqui, histoire un peu

  1. vol. in-8o, chez Magen, quai des Augustins, 21.