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LITTÉRATURE ANGLAISE.

nées sur toutes choses. Ce n’est pas certainement dans nos salons qu’elle a pu voir l’espèce de Français dont elle nous montre les tristes et misérables échantillons dans son livre. C’est un M. de Rivoli, qui ne procède que par calembours et par éloges de lui-même ; c’est une Mlle d’Antoville, qui s’évanouit à tout bout de champ, et qui est à la fois pédante comme Mme Dacier et facile comme Marion Delorme. Après avoir présenté au lecteur ces ravissans modèles de la civilisation française, et prouvé ainsi qu’elle a vu le monde et observé les conditions humaines, lady Bulwer cite les auteurs français qu’elle a lus : c’est la parodie de Werther, farce des Variétés, à laquelle elle emprunte une page ; Heureusement, ce conte de Marmontel que vous savez ; le Tableau de Paris, qu’elle attribue à M. Népomucène Lemercier, et dont elle loue le bon sens philosophique et les vues justes. Les vues justes et le bon sens de Mercier ! juste ciel ! Elle étale de l’italien et du français à perte de vue, et chacune de ses citations est un massacre de syllabes, un hachis de voyelles, une meurtrissure du dictionnaire et de la grammaire, à faire pitié. Les Anglais ont la fureur de citer du français, surtout quand ils ne le savent pas ; M. Bulwer, le mari, a commis dans ce genre-là des bévues incroyables. Mais au moins il a placé dans son Maltravers un portrait de Français réel, un Français véritable, un M. de Montaigne, qui résume fort bien l’homme de cinquante ans, tel qu’il est, en France, avec son ironie tempérée, son activité modérée, son expérience habile, son scepticisme invétéré, sa politesse mesurée, son peu de foi aux hommes et son peu d’enthousiasme pour les choses. Nous conseillons à lady Bulwer, si elle veut devenir bonne romancière, de relire cette partie de Maltravers, qui est excellente. Quand elle raconte des anecdotes françaises, elle devrait réellement s’assurer du sens des mots qu’elle emploie, de celui du mot roué, par exemple, qui ne veut pas dire voleur, comme elle le croit, mais supplicié par la roue. Elle a sur ce pauvre mot une note merveilleuse, merveilleuse de pédanterie et d’ignorance. La voici toute entière, cette belle note : « Avant la révolution française, le mot roué s’appliquait à tous les bandits, escrocs et meurtriers, et ne s’appliquait pas comme aujourd’hui seulement aux libertins ; il y avait seulement quelques personnes qui l’employaient ainsi, mais elles avaient soin d’ajouter cette épithète tout-à-fait française : un roué aimable, c’est-à-dire un libertin par excellence, par opposition au simple vagabond ou roué. » Pas du tout, madame, vous perdez votre philologie, et vos études de mœurs sont incomplètes comme vos études de grammaire. Les roués de la