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LETTRES POLITIQUES.

infiniment préférable au maintien pur et simple du statu quo, accompagné seulement de l’espoir d’empêcher la Porte ottomane de renouveler le traité d’Unkiar-Skelessi, cet engagement que l’Europe ne peut admettre. Toutefois il faut s’entendre. Si la Russie persiste à demander l’exécution provisoire de son traité, si l’Autriche hésite entre ses idées de 1812 et ses idées de 1829, si la Porte, craignant de ne pas être soutenue suffisamment, refuse de déchirer le traité du 9 juin, une fois la nécessité de leur intervention proclamée, la France et l’Angleterre seront forcées de faire la guerre, et de détruire le statu quo, afin de maintenir le statu quo. Va donc pour la guerre. Toutes les guerres finissent par des traités, et pour l’Angleterre particulièrement, par des traités de commerce. Nous consentirons donc à faire la guerre avec vous, pour nos intérêts s’entend.

La France joue ici, monsieur, permettez-moi de vous le dire avec ma franchise habituelle, le rôle de ces hommes accusés de faiblesse, et qui cherchent une occasion quelconque de montrer de l’énergie. Nous devons assurément être très satisfaits en voyant cette énergie se manifester dans la commission de votre chambre, au sujet d’une affaire qui nous tient tant au cœur ; mais n’est-ce pas dépasser le but ? Pour moi, je ne crains pas pour les intérêts de l’Angleterre, et s’il m’arrivait quelque inquiétude de ce genre, il me suffirait d’entrer dans la chambre des séances du parlement. Le sang-froid avec lequel s’y traitent nos affaires ne manquerait pas de me rassurer. Je ne craindrais rien de ce côté, même si la France traitait ses affaires avec le même calme. Je crois même que la sécurité générale y gagnerait, et qu’il serait de l’intérêt de tout le monde que la France eût, comme nous, une politique commerciale au lieu d’une politique d’enthousiasme. Oui, monsieur, je mets en fait que si depuis neuf ans vous vous étiez occupés particulièrement de traités de commerce, si les affaires de vos colonies, si vos tarifs de douanes, si vos voies de communication, chemins de fer et canaux, si votre marine marchande, si vos débouchés lointains, qui diminuent chaque jour, avaient absorbé exclusivement les méditations de vos chambres et de vos ministres, la France n’éprouverait plus d’embarras intérieurs à l’heure qu’il est, et elle ne serait pas, par conséquent, un sujet d’inquiétude pour l’Europe. C’est une réflexion qui vous paraîtra singulière dans la bouche d’un Anglais ; mais je suis de ceux qui pensent que l’Europe (l’Angleterre comprise) a tout à redouter des radicaux, et d’ailleurs le cœur me saigne en voyant une nation brave, ingénieuse, active, spirituelle et laborieuse à la fois, pourvue de tout,