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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

même dans la mécanique, leurs rivaux d’outre-mer, il est certain qu’il leur fallait un temps d’épreuve pour se former à cette construction si nouvelle pour eux. Il faut dire aussi que l’atelier de M. Decoster était alors insuffisant pour son objet, et qu’avec toutes les connaissances nécessaires pour confectionner les machines, l’habile mécanicien ne possédait pas les moyens matériels et financiers qu’une semblable construction réclame. Mais bientôt ce premier atelier s’agrandit, l’outillage se compléta, les ouvriers se formèrent, et tout cela se fit comme par enchantement. Dès le commencement de l’année 1837, ce nouvel atelier fut en opération, et les travaux s’y exécutèrent avec ensemble. Ce fut alors qu’on vit apparaître des machines de construction française à côté de celles que l’Angleterre nous abandonnait encore de temps en temps ; et, ce qui surprendra peut-être, ces premières imitations, exécutées au milieu de circonstances défavorables, ne furent pas indignes de leurs modèles. Un peu plus tard, M. Decoster fit construire, sur une échelle encore plus vaste, d’autres ateliers qui furent ouverts au commencement de septembre 1838. Là se trouvèrent enfin réunis, outre un outillage désormais suffisant pour toutes les exigences, un nombre considérable d’ouvriers exercés, et une collection complète de modèles anglais dans les systèmes les plus divers. Dès ce moment, il ne restait plus de difficultés à vaincre, plus d’épreuves à subir : l’œuvre de la transplantation en France de l’industrie nouvelle, cette œuvre délicate et pénible, était entièrement consommée.

Nous avons entendu, dans l’enquête de 1838, deux de nos filateurs mettre en doute que les mécaniciens français fussent, quant à présent, assez habiles pour reproduire les machines anglaises avec la précision voulue. Ils se trompaient, car, au moment où ils exprimaient ce doute, le problème était déjà résolu. Des machines de construction française fonctionnaient dans quelques filatures, et avec autant d’avantage pour le moins que celles qu’on avait tirées directement d’Angleterre. Mais il était dit que l’industrie française n’en resterait pas là, et qu’en peu de temps, malgré les embarras ordinaires des premiers essais, elle surpasserait ses maîtres.

Du jour où la construction des nouvelles machines fut définitivement acquise à la France, la filature mécanique s’y propagea rapidement. En peu de temps, cinq établissemens considérables se montèrent avec des métiers sortis des ateliers de M. Decoster. D’autres complétèrent leur matériel par le même moyen ; et comme, pendant ce temps, l’exportation d’Angleterre, bien que toujours lente et pénible, ne s’arrêtait pas, on vit, en France, dès le commencement de 1839, le noyau, déjà respectable, de quatorze filatures, sinon entièrement achevées, au moins sérieusement entreprises, et en pleine voie d’exécution.

Nous n’insisterons pas plus qu’il ne faut sur les circonstances particulières de cet enfantement. Qu’on nous permette cependant une réflexion sur le sort de ces machines, si laborieusement acquises à la France, réflexion qui se rapporte assez bien à ce que nous avons dit ailleurs. On vient de voir qu’un petit nombre