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schérif de la Mecque a proposé tout récemment à Méhémet-Ali d’aller lui lever toute la population du Hadzchas, qui formerait une armée de cinquante mille hommes. On en a conclu que le sultan étant abandonné par les gardiens du tombeau du prophète, serait bientôt abandonné par toute la population musulmane de l’empire. On a oublié que le schérif, qui se trouve au Caire, a été déposé par Méhémet-Ali, et qu’il n’a sans doute eu d’autre dessein que de regagner le Hadzchas, et de se soustraire à la captivité véritable dans laquelle on le retient en Égypte. Ce seul fait prouve que, malgré les démonstrations du pacha en faveur des anciennes formes de l’islamisme, modifiées par le sultan, l’élément musulman est loin d’être dans ses mains, comme il est facile de le voir dans la partie de la Syrie où se sont avancées les troupes turques. Quant aux chrétiens d’Orient, malgré la conformité de religion, la Russie aura beaucoup de peine à les faire entrer dans ses desseins. Sur quatorze millions d’hommes dont se compose la population de la Turquie d’Europe, on compte près de dix millions de chrétiens, en y comprenant les tributaires ; ce qui réduit la partie musulmane au tiers de la population. Assurément si la Russie parvenait à s’assurer des sympathies de ces dix millions de chrétiens, elle serait bientôt maîtresse de l’empire ; mais cette population, où figurent les Serviens, les Valaques, les Boulgares, désire si peu un joug chrétien quelconque, qu’elle s’est tournée, dans tous les temps, tantôt vers l’Angleterre, parce qu’elle la supposait plus décidée à soutenir le divan, tantôt vers la France, dont elle n’a cessé, depuis long-temps, et par le même motif, de souhaiter la prépondérance. Pour la Russie, pour l’Autriche, les sentimens qu’elles excitent dans ces populations rappellent la situation de la Russie et de l’Angleterre dans l’Asie centrale, où les Anglais sont redoutés du côté des possessions anglaises, et les Russes haïs dans les contrées voisines des possessions russes. La Servie et la Moldavie sont ainsi disposées à l’égard du gouvernement autrichien et du gouvernement russe. La population chrétienne de l’empire turc serait donc, au contraire, un élément favorable au maintien de l’empire ottoman, d’abord si le grand-seigneur se l’attachait en la faisant participer aux mêmes droits que ses autres sujets, puis si le concert annoncé entre la France et l’Angleterre avait pour but de rétablir, dans les principautés tributaires, l’influence du gouvernement musulman, ce qui serait, en réalité, leur rendre une sorte d’indépendance. Cette tâche est difficile et demande à la fois la persévérance et l’énergie : pour la remplir, la France et l’Angleterre n’obtiendraient pas le secours de l’Autriche, dont les consuls ont récemment abandonné les agens anglais dans l’affaire de la Servie ; mais les deux puissances concertantes réveilleraient ainsi les forces de la Turquie, et ce serait un appui suffisant. Si la France et l’Angleterre abandonnent les principautés, on verra se détacher encore de l’édifice ces deux ou trois pierres, pour nous servir de l’expression de M. Guizot, ou plutôt on les verra tomber sur l’édifice même pour l’écraser. Il faut, toutefois, rendre justice à l’Angleterre, elle a placé dans ces localités des agens supérieurs et habiles, et elle a fait tous ses efforts pour lutter contre les principes qui lui sont contraires. Quant à la France, selon sa louable cou-