Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/370

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
366
REVUE DES DEUX MONDES.

communs à tous les mortels. » Si le Béarnais monte un « courtaud, » petit cheval d’encolure ramassée, Théophile s’écrie que la monture n’est pas Bucéphale, mais que le cavalier est plus qu’Alexandre :

Petit cheval, joli cheval,
Doux au monter, doux au descendre,
Peut-être moins que Bucéphal,
Tu portes plus grand qu’Alexandre.

La « rencontre » était heureuse, et tout le monde s’en souvient encore. De Viau, qui entrait dans sa vingtième année lorsque le roi périt assassiné, menait la vie la plus facile et la plus douce. On se louait de la facilité de son humeur, de la gaieté de son esprit, et de la sûreté de son commerce ; il admirait lui-même sa fortune, ses bons repas, ses frairies, ses vêtemens splendides, et tout ce que le petit manoir de Boussères ne lui avait pas offert de luxe et de plaisirs. Il écrivait à son frère Paul de Viau, qui n’avait point abandonné l’héritage paternel :

Mon frère, je me porte bien.
Ma muse n’a souci de rien ;
J’ai perdu cette humeur profane.
On me souffre au coucher du roi,
Et Phébus, tous les jours, chez moi,
A des manteaux doublés de panne.
Mon ame se… rit des destins ;
— Je fais tous les jours des festins ;
— On va me tapisser ma chambre ;
— Tous mes jours sont des mardis-gras ;
— Et je ne bois plus d’hypocras
Qu’il ne soit fait avec de l’ambre.

L’accent de la Garonne perce dans ces vers avec une charmante vivacité. Théophile, et ceci lui fait honneur, tout enivré qu’il fût de son succès, se maintenait près des seigneurs sur un pied d’égalité hautaine. On le trouve toujours franc et digne dans ses lettres particulières, dont le recueil manuscrit n’était pas destiné à l’impression ; Mairet, commensal et ami du poète, le reçut, dit-il, des mains du duc de Montmorency, « en un rouleau de papier retenu par des rubans de couleur de rose sèche. » La dignité et même la fermeté de son ton méritent remarque et louange : il dit fort nettement au comte de Clermont-Lodève que toute liaison est rompue entre eux, puisque « le comte ne peut souffrir la vérité, et que lui, Théophile,