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Qui se laisse emporter à de confus mensonges,
Et vient, même en veillant, l’embarrasser de songes.

Ni Virgile, ni le pieux Énée ne lui conviennent. Énée

Fut un vagabond, et quoy qu’on le renomme,
Je ne sçay s’il posa les fondemens de Rome.
Le conte de sa vie est fort vieux et divers,
Virgile par luy mesme a démenti ses vers :
Il le dépeint dévot et le confesse traistre.
...............
Mais mon dessein n’est pas d’examiner icy
Les défauts du Troyen ny du poète aussy.
Plaise à Dieu que des miens nos écrivains se taisent !

Cette imagination désenchantée, jointe à cette philosophie courte et sèche dont nous avons vu Théophile s’armer, ne pouvait faire éclore un véritable poète. Un sentiment de volupté amoureuse, aussi vif que bien exprimé, le ramène de temps à autre dans la véritable sphère poétique ; ce souffle, plus ardent que délicat, respire particulièrement dans la tragédie de Pyrame, dont Boileau a relevé un méchant vers, mais où se trouvent de beaux passages, et surtout cette invocation de Pyrame venant au rendez-vous que lui a donné Thisbé :

Belle nuict, qui me tends tes ombrageuses toiles,
Ha ! vrayment le soleil vaut moins que tes estoiles !
Douce et paisible nuict tu me vaux désormais
Mieux que le plus beau jour ne me valut jamais.
Je voy que tous mes sens se vont combler de joye,
Sans qu’icy nul des dieux ny des mortels me voye !
— Mais me voicy desja proche de ce tombeau,
J’apperçoy le meurier, j’entends le bruit de l’eau,
Voicy le lieu qu’Amour destinoit à Diane ;
Icy ne vint jamais rien que moy de prophane :
Solitude, silence, obscurité, sommeil,
N’avez-vous point icy veu luire mon soleil ?
Ombres, où cachez-vous les yeux de ma maîtresse ?
L’impatient désir de le sçavoir me presse ;
Tant de difficultés m’ont tenu prisonnier,
Que je mourois de peur d’estre icy le dernier.
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Le murmure de l’eau, les fleurs de la prairie,
Cependant flatteront un peu ma resverie
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