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Une chose singulière, c’est que ce même homme, doué d’une grande intelligence pratique et d’une mâle énergie, est crédule et superstitieux comme un enfant. Au moyen-âge, la Finlande était peuplée d’une foule de jongleurs qui portaient glorieusement le nom de sorciers. Dans toutes les circonstances importantes de la vie, le paysan avait recours à eux. S’il tombait malade, il envoyait aussitôt chercher le sorcier ; s’il était victime d’un vol, c’était au sorcier qu’il allait demander le nom du coupable ; si une épidémie éclatait parmi ses bestiaux, c’était le sorcier qui devait la faire disparaître ; en un mot, les sorciers étaient les oracles, les confidens des familles. On croyait qu’ils étaient en communication directe avec le monde des esprits, qu’ils allaient, à certains jours de l’année, dans une petite île du détroit de Calmar ; on croyait aussi qu’en montant au faîte d’une maison abandonnée trois fois, on pouvait les voir passer dans l’air. Tout en les appelant dans certaines occasions, on se tenait cependant en garde contre leur pouvoir. La nuit de Pâques par exemple, les paysans de chaque ferme carillonnaient avec des sonnettes et mettaient des faux sur le seuil de la porte, afin d’éloigner les sorciers et les sorcières qui s’en allaient alors au Blakulla, emportant avec eux le vin, la laine, le duvet qu’ils avaient volé pendant le cours de l’année.

La réputation de ces prétendus magiciens s’étendit sur le Nord entier, et bientôt on dota tous les Finlandais des merveilleuses qualités qui n’appartenaient qu’à une certaine classe d’individus. Le mot de Finlandais devint, en quelque sorte, synonyme de sorcier. On attribuait à chacun de ces honnêtes paysans le pouvoir d’arrêter un fléau, de découvrir les choses secrètes, de prévoir l’avenir. Les navigateurs se détournaient de leur route pour venir chercher, en Finlande, une provision de bon vent que le sorcier leur vendait enfermée dans un mouchoir, et les pères de famille envoyaient leurs filles dans cette contrée, pour y étudier la magie[1].

Après tout, cette magie n’était qu’une superstition fort innocente. Le jongleur faisait la plupart de ses conjurations en se mettant à genoux, la tête découverte, et en chantant des strophes symboliques. Il croyait que toute maladie était produite par un sortilége, et pour le rompre, il avait recours à la poésie. Jeunes, nous avons tous cru à cette douce et naïve magie ; nous avons tous cru à l’influence bienfaisante de la poésie dans les douleurs de l’ame. Mais le monde a jeté sur nous son fatal sortilége ; la baguette enchantée que nous tenions entre

  1. Engelsloft, Skildring af Quindekiœnnets Hriceslige kaar