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reconnais la baie, les flots, les champs et les rochers, tout ce monde de mes anciens jours.

« Tout est comme autrefois. Dans la même vallée, l’arbre s’élève avec la même couronne de verdure, et le même chant retentit dans les bois et dans les airs.

« Les vagues légères se jouent ainsi que par le passé avec les Nek, et l’écho des îles répond au cri joyeux de la jeunesse.

« Tout est comme autrefois. Mais moi, je ne suis plus le même, ô mon pays aimé ! Mon visage a pâli, mes artères battent moins vite, et ma joie s’est éteinte.

« Je ne sais plus apprécier tout ce qu’il y a de doux dans ta beauté, de bon dans tes présens ; je ne comprends plus le murmure de tes ruisseaux, ni le langage de tes fleurs.

« Mon oreille est fermée au son des harpes célestes qui vibraient sur tes vagues, et mes yeux ont cessé de voir les elfes qui dansent sur les collines et dans les prairies.

« Quand je partis, j’étais si riche, si riche et si plein d’espérance ! J’emportais sous tes saints ombrages tant de pensées brillantes comme l’or !

« J’emportais le souvenir de tes beaux printemps et de la paix de tes campagnes. Dès mon enfance, tes bons génies étendaient leurs ailes sur moi.

« Et maintenant, qu’ai-je rapporté du monde lointain ? Des cheveux blancs, un cœur malade et l’envie de mourir.

« Je ne te redemande pas, ma douce terre natale, tout ce que j’ai perdu. Donne-moi seulement une tombe au pied des peupliers, au bord de la source plaintive.

« Là, je m’endormirai en paix sous ton appui fidèle, jusqu’à ce que je renaisse pour commencer une nouvelle vie. »

Le style de Runeberg n’offre ni la richesse d’images de celui de Tegner, ni les nuances recherchées de celui d’Atterbom, mais il est remarquable par sa souplesse et son élégante simplicité. Son rhythme est harmonieux et varié, et l’auteur peut s’étudier à le rendre meilleur encore, car il est jeune, et ses compatriotes croient à son avenir poétique.


X. Marmier