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LE SCHAH-NAMEH.

vulnérable seulement par cet endroit ; ainsi la tradition germanique raconte que le sang du dragon dans lequel se lava Sigurd produisit le même effet sur toute sa personne, excepté sur l’espace qu’une feuille de saule, tombée par hasard, couvrit pour son malheur. La coïncidence et la diversité des trois récits méritent d’être remarquées.

Le simurgh ne se contente pas d’apprendre à Rustem le secret de la faiblesse d’Isfendiar, il lui découvre le moyen d’en triompher. À une branche d’orme est attachée la vie du fils de Gustasp. Instruit par le simurgh, Rustem coupe le rameau fatal, le durcit au feu, y adapte un fer de flèche, et lance le trait magique dans les yeux d’Isfendiar, qui tombe blessé mortellement.

Ici encore on peut relever une singulière ressemblance de la tradition persane avec la tradition germanique. Quoi de plus semblable à la branche d’orme par laquelle périt Isfendiar, que le rameau de Mistelstein qui tue Balder[1] ?

Le mourant parle à son vainqueur sans haine, et lui confie son fils Bahman : Rustem pleure sur son ennemi tombé, et tous pleurent sur Rustem, car les sages ont prédit que le lot de la mort doit échoir à celui qui aura tué Isfendiar. En effet, cette catastrophe approche, et le héros contemporain des générations écoulées, celui qui restait depuis sept siècles debout, à côté du trône occupé tour à tour par Kobad, Kaous, Khosrou, Lohrasp, Gustasp, comme s’il eût été une incarnation immortelle du génie héroïque de l’Iran, Rustem doit tomber à son tour. Mais ce n’est pas la force, c’est la trahison qui l’abattra : dernier rapport de ce personnage avec le héros grec et les héros germanique, avec Achille et Sigefrid.

Un frère de Rustem, Schégad, concerte avec un roi de Caboul la mort du héros. Le roi de Caboul invite sous un semblant d’amitié Rustem à venir le visiter dans ses états ; puis il fait creuser des fosses que l’on remplit de lances, de glaives, de pieux aigus, et qu’on recouvre avec soin de branchages. On sert à l’hôte illustre un joyeux festin dans la forêt ; après le festin, le roi de Caboul propose à Rustem une grande chasse ; Rustem monte à cheval, et, guidé par le perfide Schégad, arrive au bord d’une des fosses creusées pour le perdre. Raksch flaire la terre fraîchement remuée, se dresse et piétine sans vouloir avancer ; mais Rustem, que sa destinée aveugle,

  1. Voyez sur ce mythe mon analyse des Dieux du Nord, poème d’Œlenschlaeger, Littérature et Voyages, p. 173.