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l’autre, la cupidité, l’avarice et la simonie de la cour de Rome. On a peine à s’expliquer comment Goethe, ce génie si impartial et si froid sur tout autre point de l’histoire, s’obstine, pour obéir à je ne sais quelle haine, à ne voir dans le catholicisme qu’une affaire de sacristie et d’antichambre ; comment lui, dont la pensée aime tant à planer dans la généralité, peut oublier seulement à ce sujet l’ensemble grandiose pour de misérables détails, qu’il poursuit avec une animosité vraiment déplorable.

Le cinquième acte est comme un épilogue immense où le mystère se dénoue dans la splendeur et l’azur du firmament. Le motif glorieux que les immortelles phalanges chantent dans l’introduction de la première partie de Faust, revient ici, mais varié à l’infini par le sublime orchestre, par les voix sonores des chérubins en extase qui l’entonnent avec ravissement, mais plus pompeux, plus grand, plus solennel, plus enveloppé d’harmonie et de vapeurs mystiques. Goethe a fait cette fois comme les musiciens, comme Mozart, qui ramène à la dernière scène de Don Juan la phrase imposante de l’ouverture. Chaque maître procède selon la mesure de son art ; celui-ci trouve l’unité de l’œuvre dans un verbe, celui-là dans un motif, tous deux dans une idée puissante et féconde. Seulement l’idée de Mozart est sombre et terrible, sa musique chante la mort et le jugement par la voix superbe des trombonnes. Ici au contraire les fanfares divines annoncent le pardon et l’oubli. Mozart, rêveur et enthousiaste, comme il convenait à la nature ardente, passionnée, expansive du plus grand musicien qui ait jamais existé, Mozart est plus catholique qu’il ne le croit lui-même ; le Viennois sensuel s’abandonne à la fièvre qui l’emporte, et dans cette débauche du corps et du cerveau aboutit au catholicisme terrible d’Orcagna, au point qu’il s’épouvante ensuite de son œuvre et qu’il en meurt. Le finale de Don Juan prêche la mort comme un sermon de Savonarole. Goethe, au contraire, penseur énergique et profond avant d’être poète, n’aborde jamais un dogme, quel qu’il soit, qu’à la condition de se le soumettre. C’est là pour lui un terrain plus ou moins fécond dont il s’empare, et qu’il sillonne en tous sens. Si Goethe met le pied dans le ciel catholique, il y éveille aussitôt toutes les rumeurs des sources et des bois, tous les bruits de la végétation. On respire dans le ciel de Goethe toutes les vives odeurs du panthéisme. Plus de responsabilité misérable, plus de mort hideuse, plus de terrible châtiment, partout la vie et la gloire, et la transformation dans l’éther fluide et lumineux. Il est impossible d’assister à ce spectacle sans se rappeler ces peintures divines de la primitive école italienne