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REVUE DES DEUX MONDES.

Arrêtons-nous un moment pour contempler la divine comédie. Voilà bien tous les degrés de la céleste nature, depuis l’initiation au sortir de la vie terrestre jusqu’à la béatitude suprême au sein de Dieu : les enfans bienheureux, les chérubins, les anges, les séraphins, et, pour tous ces membres de la hiérarchie céleste, des sphères de purification à traverser : la région profonde, la région intermédiaire, la région supérieure. On croirait lire une page de saint Thomas ou de Roysbrock, si le rhythme glorieux de ces strophes de lumière, qu’il faut désespérer de reproduire dans la transparence native de leurs eaux limpides, ne vous rappelait à tout instant la poésie au sein du mysticisme. Le souffle de Goethe nous rend visibles ces myriades d’intelligences éthérées qui s’élèvent à travers l’infini, jusqu’au triangle mystérieux, le long d’une traînée radieuse : imagination sublime, vraie théorie des anges, inspirée jadis à Philon par le symbole de l’échelle de Jacob, et que Goethe emprunte à l’école d’Alexandrie.

Les groupes séraphiques se transmettent la partie immortelle de Faust ; les archanges, qui s’en étaient emparés d’abord, ne la trouvent pas assez pure pour leurs divines mains, et la livrent aux anges novices, qui, à leur tour la passent aux enfans de minuit. Faust, pour arriver au ciel, traversera donc toutes les sphères de purification. Cependant le docteur Marianus annonce l’arrivée des trois saintes femmes qui viennent intercéder pour le salut d’une sœur, et dans l’effusion de l’amour qui le pénètre, tombe aux pieds de la reine des anges.

doctor marianus[1], dans la cellules la plus élevée et la plus pure.

D’ici la vue est profonde,
L’esprit flotte entre le monde
Et l’Éternel.

Mais, dans la nuée en flammes,
J’aperçois de saintes femmes
Qui vont au ciel.

  1. Doctor Marianus, né en Écosse en 1028 ; à dater de 1052, moine allemand. Il écrivit une chronique du monde depuis la création jusqu’à l’an 1083, en trois livres, et passa sa vie en véritable reclus, au fond d’une cellule isolée, sans entrer en commerce avec les autres moines, absorbé par l’étude et les exercices de piété. Il fonda le cloître de Saint-Pierre-des-Bénédictins à Reyensbourg, et la légende raconte qu’un soir la lumière étant venue à lui manquer, comme il continuait d’écrire dans les ténèbres, les trois doigts de sa main, que le travail de la plume ne tenait pas occupés, se mirent tout à coup à resplendir comme trois chandelles, et toute la chambre en fut aussitôt éclairée.