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GOETHE.

soient faites pour entraver la foi ; au contraire, par l’action immédiate des sentimens divins en nous, il peut se faire que le savoir ne doive arriver que comme un fragment sur une planète qui, elle-même dérangée dans ses rapports avec le soleil, laisse imparfaite toute espèce de réflexion, qui dès-lors ne peut se compléter que par la foi. Déjà j’ai remarqué, dans ma Théorie des couleurs, qu’il y a des phénomènes primitifs que l’analyse ne fait que troubler dans leur simplicité divine, et qu’il faut par conséquent abandonner à la foi. Des deux côtés, travaillons avec ardeur à pénétrer plus avant ; mais tenons toujours bien les limites distinctes, n’essayons pas de prouver ce qui ne peut être prouvé ; autrement nos prétendus chefs-d’œuvre ne serviraient qu’à donner à la postérité le spectacle de notre faiblesse. Où la science suffit, la foi est inutile ; mais où la science perd sa force, gardons-nous de vouloir disputer à la foi ses droits incontestables. En dehors de ce principe, que la science et la foi ne sont pas pour se nier l’une l’autre, mais au contraire pour se compléter l’une par l’autre, vous ne trouvez qu’erreur et confusion. »

Cependant, toute question de théologie mise à part, il est permis de douter que la morale y trouve son compte. Qu’est-ce, en effet, que Faust, sinon l’orgueil, le désespoir, la débauche des sens, l’ambition, le mensonge, la haine incessante de Dieu ? Et tout cela aboutit à quoi ? À la gloire des anges : étrange conclusion, et qui pourtant s’explique. Le mal, chez Faust, vient de Méphistophélès, on ne le peut nier ; et d’ailleurs, ne trouve-t-il pas son châtiment dans cette vie, le mal qui tend sans relâche vers un but qu’il ne peut atteindre (das ruhelos um Ziele strebt ohne es zu erreichen) ? Faust, après tout, est homme ; il se trompe souvent et profondément ; mais, comme le Seigneur l’a dit dans le prologue, un vague instinct le porte vers le bien. Je l’avoue, chaque fois que la raison et le désir des sens sont aux prises, le désir l’emporte, mais non sans une lutte acharnée, non sans que la raison ait vaillamment combattu pour ses droits. Faust hait Méphistophélès, et du commencement à la fin, tous les moyens que le diable met en œuvre lui répugnent. Puis, son vaste amour pour la nature ne nous est-il pas garant de ce pressentiment sublime de l’ordre et de la loi régulière qui ne l’abandonne jamais ? En un mot, Faust est, comme Werther, un homme doué des plus riches dons de la nature, mais qui, dans ses rapports avec la vie morale, retombe au niveau des autres hommes et participe des faiblesses communes. Après tout, si l’on insistait sur ce point, nous dirions volontiers que Goethe n’a prétendu faire ni un sermon ni un bréviaire, mais un poème large et profond comme la vie, sérieux et vrai comme la nature, et