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croire. L’idée d’ouvrir un canal à travers l’isthme de Panama n’est pas nouvelle, et la possibilité de la mettre à exécution a été plus d’une fois démontrée, quoi qu’en aient dit de savans géologues : cette élévation qu’ils supposent aux eaux de l’Océan pacifique et qui mettrait en danger les côtes de l’autre continent est une chimère ; et, cette crainte fût-elle fondée, la difficulté des moyens à employer pour retenir les eaux par des écluses ne pourrait se comparer aux obstacles que l’on aurait vaincus pour ouvrir le canal. Il y a deux ans, un projet de canalisation proposé au gouvernement de la Nouvelle-Grenade, projet bien conçu, mais qui malheureusement n’était pas praticable par plusieurs raisons qui se rattachaient à une des parties contractantes, fut accepté par ce gouvernement ; on faisait à l’entrepreneur des avantages immenses. Je ne doute pas qu’il n’accédât très volontiers à un projet de même nature, dont l’exécution lui semblerait assurée par la moralité et la puissance de la compagnie qui entreprendrait ce magnifique travail. Il y a peu d’années, une compagnie américaine proposa de construire un chemin de fer qui irait de Chagres à Panama, traversant ainsi l’isthme dans toute sa largeur ; le projet dont j’ai parlé tout à l’heure vint se jeter au travers de cette entreprise, et je ne sais ce qui en est advenu. Mais, quoique l’ouverture d’un canal me paraisse beaucoup plus avantageuse que la construction d’un chemin de fer, ce moyen secondaire de transport ne laisserait pas d’avoir une influence immense sur la situation des îles Sandwich ; car il s’établirait sans doute immédiatement des lignes de paquebots qui iraient prendre les marchandises déposées à Panama et les transporteraient soit dans les diverses républiques espagnoles, soit dans les mers de Chine et de l’Inde.

D’autres circonstances peuvent encore, d’un moment à l’autre, donner une grande importance de position aux îles Sandwich, et rendre cette relâche très intéressante pour notre navigation commerciale. Notre commerce se trouve, pour ainsi dire, banni des marchés de l’Inde et de l’Indo-Chine par les difficultés qu’éprouvent nos bâtimens à s’y procurer des chargemens de retour. La consommation du thé et de l’indigo est limitée en France, et un nombre déterminé de chargemens de ces denrées approvisionne nos marchés pour bien long-temps. D’un autre côté, les bénéfices que nos bâtimens pourraient faire sur les marchandises importées dans les mers de Chine et de l’Inde ne peuvent pas être assez considérables pour indemniser nos armateurs des pertes que leur fait éprouver un navire revenant à vide après un si long voyage. Aujourd’hui surtout que la concurrence manufacturière est si grande, les nations dont les navires ont des chargemens de retour assurés, nous offriraient une rivalité contre laquelle nous ne pourrions lutter. Nous nous trouvons donc dans la nécessité de proportionner nos expéditions pour l’Inde au nombre de navires que nécessite en France l’importation du thé, de l’indigo et autres denrées de cette contrée. Il est vrai que Bourbon et ce que nous appelons nos possessions dans l’Inde nous offrent quelques sucres pour chargemens de retour ; mais, outre que cette ressource est bien faible, nous avons un commerce direct avec Bourbon qui suffit à l’exportation des produits du pays, et, dans tous les cas,