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semble établie entre les fidèles pour découvrir et soulager toutes les douleurs humaines ; et quand le christianisme a complété sa pacifique conquête, quand il a placé des empereurs sur le trône, il fait consacrer par la loi civile les établissemens qu’il a déjà ouverts pour les enfans, les vieillards, les malades, les infirmes, les indigens et les voyageurs.

Il serait trop long d’énumérer ici toutes les inspirations de la charité pendant le moyen-âge chrétien. L’aumône, recommandée par l’église comme la plus méritoire des vertus, fut aussi ingénieuse qu’active. L’élite des ames se livrait toute à tous : elle se faisait une sorte de devoir de donner aveuglément, comme pour reconnaître d’une façon plus formelle le privilége sacré du malheur. Mais le remède, ainsi dénaturé par l’application, se trouva impuissant, malgré sa céleste origine. Les plaies sociales s’envenimaient sans cesse. L’autorité civile intervint pour les circonscrire, et ne recula pas devant les moyens les plus violens. Une ordonnance de 1350, rendue au nom du roi Jean, déclare que les mendians et gens sans aveu seront mis au pilori, et à la troisième fois marqués au front et bannis. La dissolution du monde féodal vint altérer encore, quand elle ne les tarit pas complètement, les sources ordinaires de la charité. Les guerres qui suivirent la réforme, et surtout les phénomènes économiques occasionnés par la diffusion en Europe des trésors du Nouveau-Monde, déplacèrent l’équilibre des fortunes, et multiplièrent à l’infini le nombre des pauvres.

Un long cri de douleur qui s’éleva alors au milieu des plus effrayantes convulsions, présagea l’enfantement d’une société nouvelle. L’éveil fut ainsi donné aux esprits puissans et finement trempés dont ce siècle se trouva mieux pourvu qu’aucun autre. Les principes du gouvernement civil, les règles de la législation, eurent à subir, comme les dogmes religieux, l’épreuve d’une rigoureuse controverse, et la science politique, bientôt constituée dans ses généralités, déroula un vaste programme aux études de détail. C’est alors que, reconnaissant dans l’indigence un vice inhérent à la nature des sociétés modernes, on se demanda si on ne devait pas l’étudier dans ses causes, afin de l’atténuer dans ses effets. La charité, surtout celle qui est exercée au nom de l’état, fut éclairée par l’observation et la théorie. Commencé au seizième siècle, ce développement scientifique ne s’est pas un instant ralenti, et c’est à son appréciation que M. de Gérando a consacré les préliminaires de son livre.

La polémique s’établit dès 1545, sur la terre promise de la mendicité. Deux moines espagnols soulèvent, relativement aux maisons de travail forcé pour les pauvres, des questions qui sont encore à l’ordre du jour. En Angleterre, la suppression des maisons religieuses qui alimentaient les basses classes engendre subitement la lèpre incurable du paupérisme. Les châtimens les plus cruels prononcés contre les mendians valides, la marque au front, la mutilation des oreilles, le fouet jusqu’au sang, la mort même, n’empêchent pas des gens affamés de tendre la main ; et la reine Élisabeth, souvent attristée par le spectacle de la misère, en est réduite à s’écrier dans les accès de sa sensibilité pédantesque : Pauper ubique jacet ! À partir de cette époque, l’accroissement