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reconnaître un appel du ciel aux pensées de l’autre vie, et, pour répondre à cet appel, il résolut de renoncer au monde et de se faire prêtre. Déjà, durant sa première jeunesse, il avait eu l’idée d’embrasser la vie ecclésiastique ; mais il est très probable que cette résolution passagère lui était plutôt venue de l’envie de se faire un état dans la société, que d’une inspiration vraiment religieuse. Cette dernière fois, au contraire, il y eut certainement, dans le parti auquel il revint de se faire prêtre, un motif religieux, une idée pieuse, le dessein formel d’expier un passé dont s’effarouchaient ses souvenirs. Ce parti une fois bien arrêté dans son esprit, il ne songea plus qu’à l’exécuter ; il s’y prépara par le recueillement et par des œuvres continues de piété et de charité. En 1607 ou 1608 au plus tard, il se rendit à Tolède, où il fut ordonné prêtre, et revint aussitôt à Madrid essayer la nouvelle vie à laquelle il venait de se consacrer.

À dater de cette époque, il entra successivement dans diverses congrégations pieuses, instituées pour des œuvres de dévotion ou de charité. L’une de ces congrégations, et celle où il trouva le plus d’occasions d’exercer le zèle pieux dont il était animé, avait pour but le soulagement des prêtres indigens. Elle les vêtissait, les nourrissait, les soignait dans leurs maladies, et leur donnait la sépulture après la mort. Lope fut élu chapelain de cette pieuse société, et ne négligea aucun des devoirs, si austères qu’ils fussent, que lui imposa cette élection. On le vit souvent, courbé sous le poids du cadavre de quelque pauvre prêtre, le porter péniblement en terre, l’y déposer, et adresser pour lui une dernière prière à Dieu, confondant ainsi, par un excès touchant de charité, l’office de prêtre et celui de fossoyeur.

Une autre congrégation beaucoup moins pieuse que la précédente, et où l’on voit de même, bien que certes moins chrétiennement, figurer Lope de Véga, est celle des familiers du saint-office, dont il fut vingt-cinq ans le chef ou le directeur.

Au premier coup d’œil jeté sur la nouvelle existence de Lope, et même en faisant abstraction de ses devoirs comme chef des familiers de l’inquisition, on est tenté de trouver cette existence triste et sombre ; mais, en y regardant de plus près, on peut, je crois, s’en faire une image moins sévère.

Rien ne manquait à Lope de Véga pour être un excellent chrétien, comme on l’était de son temps en Espagne : il croyait purement et simplement tout ce qu’il fallait croire ; il était naturellement pieux,