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d’avoir plus de temps à donner à ses affections de famille et à ses travaux poétiques, surtout aux travaux du théâtre.

Sur plus de deux mille drames qu’il a laissés, il y en a plus des deux tiers qui furent composés postérieurement à son admission au sacerdoce, et au milieu de ses devoirs religieux de tout genre. Or, entre ces pièces de Lope prêtre et dévot et celles de Lope homme du monde, marié ou amoureux, il n’existe aucune différence appréciable, ni quant au choix des sujets, ni quant à la manière de les traiter. Il y a tout autant d’amour, tout autant d’orgueil du point d’honneur, tout autant de tableaux voluptueux, de bravades et de vengeances dans les unes que dans les autres ; et ce rapprochement démontre assez que la conversion morale et religieuse de Lope ne s’était point étendue à ses goûts poétiques, et qu’en lui le poète dramatique ne rendait point compte de ses inspirations au chef des familiers du saint-office.

Il y a plus : si l’on voulait rechercher à quelle époque de sa vie Lope s’occupa avec le plus d’ardeur et d’ambition de la culture de son génie dramatique, on trouverait probablement que ce fut quelques années après son ordination. Une lettre de lui adressée au comte de Lemos et datée du 6 mai 1620, contient ce trait curieux : « Je passe, entre quelques livres et les fleurs d’un jardinet, le temps qui me reste à vivre et qui ne peut désormais être bien long, luttant avec le docteur Mira de Mescua et don Guillem de Castro à qui de nous ourdira le plus habilement l’intrigue de ses comédies. » On voit par là que Lope faisait à Guillem de Castro et à Mira de Mescua l’honneur de les regarder comme ses émules, honneur certainement trop grand, surtout pour ce dernier. Mais, quoi qu’il en soit, on croira aisément que ce n’était point par un sentiment d’humilité chrétienne qu’il provoquait ou acceptait ces luttes dramatiques.

Un autre lien par lequel Lope, prêtre et pénitent, demeura attaché, sinon précisément au monde, du moins aux jouissances naturelles de la vie, fut celui des affections domestiques. Il lui restait trois enfans, Lope, son second fils, et ses deux filles, Marcela et Feliciana, tous les trois fort rapprochés par l’âge et ayant tous à peu près également besoin de lui. Il continua, pour eux et avec eux, une vie de famille désormais bien incomplète sans doute, mais toutefois douce encore, encore remplie de tendres préoccupations et de devoirs sacrés aux yeux même de la piété la plus exaltée. Enfin, à toutes ces distractions qu’il s’était réservées, il faut en ajouter une dernière dont on n’aurait jamais imaginé tout le prix pour lui, si l’on n’avait là-dessus,