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nuscrits du Livre des Rois, cette récitation fut accompagnée de musique et de danses, comme l’était souvent la poésie des Grecs, celle de Pindare en particulier.

Le sultan avait fixé, dans sa magnificence, à une pièce d’or le prix de chaque distique de Firdousi. Celui-ci préféra ne recevoir qu’à la fin du poème la somme qui lui serait due. Il avait, pour demander ce renvoi, un touchant motif. « Dans son enfance, son plus grand plaisir était de s’asseoir sur le bord du canal d’irrigation qui passait devant la maison de son père. Or, il arrivait souvent que la digue qui était établie dans la rivière de Thous, pour faire affluer l’eau dans le canal, et qui n’était bâtie qu’en fascines et en terre, était emportée par les grandes eaux, de sorte que le canal demeurait à sec ; l’enfant se désolait de ces accidens, et ne cessait de souhaiter que la digue fût construite en pierre et en mortier. » Devenu grand et célèbre, Firdousi se rappela le vœu de ses premières années, et son souhait le plus cher fut d’accumuler une somme assez considérable pour le réaliser. On verra bientôt que ce souhait généreux ne devait point s’accomplir de son vivant ; on éprouve une sorte de consolation à penser qu’il le fut après sa mort.

Firdousi travailla douze ans à terminer son poème. Au bout de ce temps, il le fit présenter à Mahmoud. Le sultan, dans un premier mouvement de générosité, ordonna d’envoyer au poète autant d’or qu’en pouvait porter un éléphant ; mais, persuadé par un de ses ministres ennemi de Firdousi, il fit porter à ce dernier, non les soixante mille pièces d’or qui lui avaient été promises, mais soixante mille pièces d’argent. Firdousi était au bain ; il donna un tiers de la somme au messager du sultan, un tiers au baigneur, et des vingt mille pièces qui restaient il paya un verre de bière (fouka). Plein de honte et de fureur, le sultan s’emporta contre ceux qui lui avaient conseillé une bassesse, et menaça de jeter le hardi poète sous les pieds des éléphans. Firdousi, l’ayant appris, brûla quelques milliers de vers qu’il avait composés, et un bâton à la main, vêtu en derviche, parti de Gaznin. Mais, en partant, il laissa à son protecteur Ayaz un papier scellé, le priant de le remettre, dans vingt jours, au sultan. C’était une satire terrible contre Mahmoud ; le redoutable conquérant de l’Inde était outragé sans ménagement par le poète irrité. Faisant allusion à la naissance du sultan, dont le père avait été esclave, Firdousi s’écriait « S’il avait eu un roi pour père, il aurait mis sur ma tête une couronne d’or ; s’il avait eu une princesse pour mère, j’aurais eu de l’or et de