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LE SCHAH-NAMEH.

peut retracer les objets en mouvement. Les eaux qui fuient ne déposent point les cristaux, qui se forment dans les eaux tranquilles.

Le résultat de cette comparaison, c’est que, venu à une époque littéraire plus avancée, à une époque où le palais de Mahmoud était le théâtre de concours et de combats poétiques, à une époque où lui-même fit sa fortune par une rime difficile trouvée à propos, Firdousi a mis dans son œuvre moins d’art que le vieil Homère ; tant l’art était naturel au génie et même au génie primitif de la Grèce.

Pour que l’on pût comparer l’épopée persane à l’épopée indienne, il faudrait que celle-ci fût mieux connue. Quelques épisodes seulement du Mahabarat et le quart environ du Ramayana ont été traduits. Cependant ces courts extraits suffisent pour qu’on soit dès à présent en mesure d’indiquer, entre les grandes compositions de Valmiki et de Vyasa et celle de Firdousi, un certain nombre de rapports importuns et de différences essentielles.

Leur étendue est à peu près la même ; le Mahabarat peut avoir cent mille vers, c’est deux fois plus que l’Iliade et l’Odyssée réunies. Les figures des cavernes d’Éléphanta ont treize pieds, c’est plus de deux fois la hauteur de l’Apollon du Belvédère. Les dimensions de l’art sont dans l’Inde égales à celles de la poésie.

On reconnaît une commune origine dans la tradition primitive de l’Inde et de la Perse. Cette lutte entre le bien et le mal armés sans relâche l’un contre l’autre, cette lutte incessante que les héros de Firdousi soutiennent contre les mauvais génies, se retrouve dans les luttes des dieux et des guerriers contre les rakchasas : ceux-ci sont les divs de l’Inde. J’ai déjà remarqué que la même division en castes se montrait au berceau des deux civilisations. Le monde est en paix sous Dascha-Rata comme sous Djemschid ; de même, encore à cette époque primordiale, les hommes sont mêlés par la poésie aux animaux et aux génies : les singes, les serpens, interviennent dans l’action avec les rakchasas et les dieux, comme Firdousi conduisait une grande armée d’hommes, d’animaux sauvages, d’oiseaux et de péris ; souvenirs antiques d’un temps où l’homme ne s’était pas encore distingué nettement de ce qu’il connaissait d’inférieur et de ce qu’il imaginait de supérieur à lui, vestiges obscurs d’un panthéisme primitif, qui s’est maintenu dans l’Inde, mais qui s’est effacé devant le génie de l’Iran.

En effet, si les deux races ont indubitablement une souche commune, elles ont eu, de bien bonne heure, des tendances entièrement diverses, et la tradition a réfléchi fidèlement cette diversité. L’Indou,